jeudi 20 novembre 2008

LA GRANDE MANIF POUR RIEN!


C'était au début juin de 1998. Nous étions quatre chômeurs et nous nous emmerdions. Tout nous semblait futile et vain, d'autant plus que nous n'avions plus rien à boire et plus rien à fumer. On se partageait de grands verres d'eau en discutant de tout et de rien.

Nous étions quatre. C'est-à-dire moi, Roberto, Guy et Stéphane. Je ne sais pas comment cette idée nous est venue. Mais elle nous a tout de suite enthousiasmés.

Et qu'elle était cette idée? Vous ne le croirez pas, tellement c'est stupide, mais elle consistait à organiser subito presto, dans l'heure qui suivrait, une manifestation pour rien.

-Ouin, ouin, faisons-nous des pancartes! dit le grand Steph en s'emparant d'un crayon feutre et d'un bout de carton pour écrire tout simplement le mot «rien» dessus.

Nous prîmes donc chacun un bout de carton pour écrire la même chose: rien. Et puis on brocha les cartons sur des lattes de bois. Nous avions donc quatre pancartes et nous étions quatre vauriens à brandir le mot «rien».

Il s'agissait maintenant de rédiger un communiqué de presse et d'aller le porter aux média, au Nouvelliste, aux stations de radio, etc. Ça, évidemment, c'était ma partie.

J'ai donc rédigé à toute vitesse un communiqué, pour diffusion immédiate, avec le petit code 30 de rigueur. Cela disait substantiellement qu'une manif du Rien se tenait le jour même au centre-ville de Trois-Rivières, en prévision de la Grande Manif du Rien qui aurait lieu devant l'Assemblée Nationale, le 24 juin prochain.

Je me souviens que cela se terminait par cette phrase: «C'est la Grande Manif du Rien et personne n'y comprend rien! Nous vaincrons!» Pour tout renseignement, j'avais laissé le numéro de téléphone du Conseil du patronat du Québec. Probablement qu'ils n'y comprendraient rien, eux aussi...

-Bonjour, je suis journaliste au Nouvelliste et j'ai reçu votre communiqué de presse à propos de la Grande Manif du Rien...

Nous étions crampés de rire juste à penser à la tête qu'ils feraient là-bas, au Conseil du patronat.

-La Grande Manif du Rien? Mais vous êtes au Conseil du patronat ici...

Ouais, c'était clair: personne n'y comprendrait rien!

Nous avons donc distribué le communiqué puis nous sommes partie tous les quatre avec nos pancartes en direction du bureau de l'aide sociale, sur la rue des Forges, au centre-ville de Twois-Wivièwes, le meilleur endroit qui soit pour tenir des pancartes.

Les gens nous dévisagaient évidemment. Les automobilistes klaxonnaient. Personne n'y comprenait rien: quatre gus qui marchaient dans les rues du centre-ville avec des pancartes sur lesquelles on ne voyait que le mot «rien».

Évidemment, on en mettait plus que les badauds n'en demandaient. On prenait des poses au coin des rues, le poing dans les airs, comme les Black Panthers, pancarte bien en vue: rien!

Nous nous étions donné pour consigne de ne rien dire ou bien de dire tout simplement «rien» à toute question du public ou des média si l'on venait à notre rencontre.

Je me souviens entre autres de deux jeunes étudiantes qui n'en revenaient tout simplement pas de nous voir devant le bureau de BS avec nos pancartes.

-Pourquoi qu'vous manifestez? m'a demandé la plus dégourdie des deux. Pourquoi qu'c'est écrit «rien»?

-Pour rien, que je lui ai répondu.

-Ouin mais... Pourquoi?

-Parce que ça n'donne rien de manifester.

Elle m'a regardé d'un air médusé puis elle est partie à rire.

-Est bonne! C'est la meilleure manif que j'aie jamais vue de toute ma vie!

Après avoir reçu plusieurs compliments des badauds du centre-ville, nous sommes tout bonnement rentrés chez-nous.

Ce fût notre manif du rien. La plus belle manif de ma vie en ce qui me concerne.

Chaque fois que je revois Roberto, Guy ou Steph, cette anecdote est devenue incontournable. Elle fait partie de nos vies à jamais, comme nos cuites et nos nuits de folles ivresses, à la différence notable que nous étions totalement sobres ce jour-là.

-Hey man! Tu t'souviens-tu de notre Grande Manif du Rien?

-Certain! Hostie qu'c'était mongol! Hostie qu'le monde figeait! On en refait-tu une autre, hein?

***

Il y aura des élections le 8 décembre prochain. Si j'étais plus jeune et plus audacieux, je pense que je répèterais l'expérience. Une Grande Manif du Rien devant l'Assemblée Nationale, pour le 7 décembre prochain, mettons.

Pourquoi vous manifestez? Pour rien.

Quel est le but de cette action? Rien.

Qui est le responsable de la manif? Rien.

Rien. Rien. Rien...

Suis-je nihiliste? Je vous rassure tout de suite: pas du tout!

Je suis juste... écoeuré!

Rien, hostie, rien!

RIEN!

3 commentaires:

  1. Gaétan, cette histoire est excellente et délicieusement délire! J'en ris encore. Faut le faire en esti...

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  2. Je les collectionne, les RIENs, moi.

    Si, si !

    On manifeste, ou RIEN.

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  3. Marci Sandra. Histoire vraie et authentique à 100%. Le plus drôle c'est que j'ai croisé un des trois gars qui étaient avec moé ce jour-là, tout à fait par hasard, et ça faisait quelques payes que je ne l'avais pas vu. «J'parle de toé sur mon blogue aujourd'hui», que je lui ai dit. Il n'a pas encore contredit ma version. Ça prouve qu'elle est vraie.

    Faune, ce n'est parce qu'on manifeste pour rien qu'on manifeste de l'indifférence envers les nonos qui dirigent ce monde au bord du précipice.

    La conscience de l'absurde, selon Camus, est un point de départ. Pas un point d'arrivée.

    Bon ben j'va's aller r'lire «L'homme révolté».

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