dimanche 6 novembre 2016

Comment j'ai chié sur l'office dominical

Il fallait aller à la messe tous les dimanches parce que nos parents nous l'ordonnaient. Jusqu'à l'âge de douze ou treize ans, je ne rechignais pas trop à y aller. Je mettais mes habits du dimanche, dont ma belle chemise en soie qui me collait désagréablement au corps. Puis je marchais jusqu'à l'église de la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Allégresses. C'était une église de style gothique faite de grosses pierres des champs. Elle dut coûter une fortune aux prolétaires de la paroisse. C'était un luxe qu'ils ne pouvaient pas se permettre, bien entendu, mais ils ne pouvaient pas plus vivre en-dehors de l'église à cette époque. Ils ont donc équipé cette église de fresques, de dorures et autres morceaux de vaisselle en argent. Ils ont mis des figurines, des idoles et des lampions un peu partout là-dedans. Et ils ont laissé certains sorciers avoir les mains un peu trop longues avec les enfants.

Les fresques faisaient peur. On n'y sentait pas tant l'inspiration divine de l'artiste qui les avaient exécutées que ce formalisme minable que l'on retrouve aussi dans l'art hitlérien et stalinien. On y voyait un Christ sortir des nuages. Un Saint-François portant les stigmates. Et Dieu sait quoi. C'était laid.

Je devais me présenter au confessionnal une demie heure avant la messe. Tout seul dans l'isoloir, je racontais mes péchés au curé, un chic type qui a fini par défroquer pour vivre en union libre avec la mère d'un de mes amis, une femme mariée. Le curé ressemblait un peu à Robert Bourassa. Et je lui disais n'importe quoi. Je ne me souvenais jamais de mes péchés réels. C'est à me demander si je comprenais quelque chose à la notion de péché. Calvaire! T'as treize ans et tu dois déjà t'excuser de respirer!

-J'ai sacré... Et heu... J'ai envoyé chier mon frère... Et heu... Je lui ai aussi tordu le bras... Y'arrêtait pas de m'écoeurer et de me traiter de grosse baloune!

-Fais dix je vous salue Marie et trois Notre Père, amen, alléluia et à la semaine prochaine!

Évidemment, je ne récitais pas ces prières. Je n'étais pas un perroquet et m'en torchais un peu. Je ne faisais que sauver les apparences aux yeux de mes parents. J'étais allé à la confesse et je m'étais agenouillé ensuite en faisant semblant de prier. Formalité remplie. Rien de plus.

D'aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais fermement cru à l'église. Je m'amusais même à déformer les prières et les chants religieux pour tuer le temps que la messe durait.

-Amen, mes culottes sont pleines pour la fin de semaine! Alléluia, crotte de chat! Seigneur je ne suis pas digne de te recevoir ça fait que je vais lâcher un pet!

L'anticléricalisme fit d'autant plus naturellement son chemin que j'appartenais à une génération qui n'allait plus à l'église. Mes amis n'auraient pas pu réciter un Notre Père sans se tromper. Ils n'étaient pas tenus d'aller voir les simagrées des prêtres. Ils étaient tellement détachés de l'Église qu'ils ne lui en voulaient même pas. Du moins, pas plus qu'ils n'en voulaient au salon de quilles ou au barbier de faire partie du décor.

J'ai fini par devenir athée à force de m'emmerder à l'église. J'allais trop souvent à la bibliothèque, qui plus est, et lisais des trucs comme la religion est l'opium du peuple.

Je me rendais souvent à la librairie L'Exèdre du temps où elle était sur la rue Saint-Georges. Un jour, je suis tombé sur un petit livre de la collection Jean-Jacques Pauvert. La philosophie dans le boudoir que ça s'appelait. L'auteur était un certain D.A.F. de Sade. Je n'étais pas encore pubère et toute la dimension pornographique de ce livre ne m'a pas atteint. Par contre, sa charge contre l'église et contre l'existence de Dieu m'a bouleversé. Du coup, je me suis procuré toute la collection de Jean-Jacques Pauvert avec l'argent que je gagnais à travailler au dépanneur.

Je me souviens d'un rêve significatif de cette époque. D'un cauchemar pour mieux dire. Je participais à une messe noire. Le Diable faisait un sacrifice humain sur l'autel. Il brandissait un poignard ensanglanté et me disait: joins-toi à nous!

Je me suis réveillé en sueur, tentant de crier sans qu'un son ne puisse sortir de ma bouche.

Puis je me suis dit que ce n'était que de la connerie, Dieu, le Diable, ce cauchemar. C'est comme ça que je suis devenu athée.

L'athéisme était bien sûr une réponse absolue pour une question mal formulée. Pourtant, je me fis un devoir d'affirmer cet athéisme pour résister à cette église que, dès lors, je ne voulus plus fréquenter.

Mes parents m'obligeaient encore à m'y rendre et ne voulaient rien entendre à mon refus d'y aller. Je n'osais pas à prime abord leur dire que Dieu n'existait pas. Je faisais donc semblant d'aller à la messe. Mes parents allaient à l'office de huit heures. J'irais donc à celui de onze heures. Évidemment, je ferais semblant d'y aller. J'allais plutôt dépenser l'argent que mes parents me laissaient pour la quête à la salle de billard de la rue Godbout. Je revenais à la maison quarante minutes plus tard.

-Comment c'était le sermon? me demandait ma mère.

-Ah! y'a parlé de ci pis de ça... c'était plate. Comme d'habitude.

J'ai fini par me faire prendre.

-T'as pas été à la messe! On t'a vu près du Parc des Pins!

-C'est pas vrai j'y suis allé!

-Mens pas p'tit maudit! Tu vas pas à la messe!

-...

-Réponds! Avoue que tu y vas pas!

-Non j'y vas pas pis j'veux pas y aller! M'en crisse d'la messe! osé-je dire. Dieu n'existe pas!

-Comment ça Dieu n'existe pas? Mécréant! tonna mon père. T'apprendras que même les Témoins de Jéhovah ont un dieu!

-M'en crisse des Témoins de Jéhovah! Dieu c'est comme le Père Noël: un conte pour enfants! Si Dieu existe j'veux être foudroyé en ce moment même!!! Tiens?  Je ne suis pas foudroyé... Vous voyez bien que Dieu c'est niaiseux! J'suis encore là à dire que Dieu j'm'en crisse!

J'étais le premier des enfants de mes parents à remettre ainsi en cause leur sainte religion et, pire encore, à renier Dieu.

Je menaçai mes parents de crier dans l'église que Dieu n'existait pas s'ils me forçaient à y aller. Mes pauvres parents ont fini par plier par crainte d'un scandale dont ils me savaient capable de provoquer.

Un jour, le curé de la paroisse se présenta à la maison. Ma mère lui fit bénir ma chambre parce qu'elle croyait que j'étais possédé. Le curé me demanda pourquoi je n'allais pas à la messe. Et je lui ai répondu toutes sortes de trucs à propos des Borgia, de Copernic, de Galilée, des Indiens d'Amérique, des Patriotes de 1837 trahis par l'église et j'en passe.

Les années sont passées. Les églises sont tombées en ruines et ont à peu près toutes fermées. Je me demande même s'il y a encore une messe à l'église Notre-Dame-des-Sept-Allégresses. Il n'y a plus de fidèles. Il n'y a plus rien. Sinon des sépulcres blanchis. Des fantômes d'un temps qui ne reviendra plus.

Suis-je encore athée? Je le suis pour les croyants. C'est moins long à expliquer.

Pour les athées, cependant, je suis encore un chercheur d'absolu. Quelque chose comme un gnostique.

Je n'ai pas trouvé de réponses toutes faites et n'en ai pas vraiment besoin.

Je vis très bien sans dieux.

Je ne vais plus à la messe le dimanche.

La magie et la sorcellerie ne m'atteignent pas.

Mes valeurs font partie du patrimoine commun des sages d'hier et d'aujourd'hui. Elles n'ont rien à voir avec les religions qui s'accaparent tous les mérites pour mieux baiser tout le monde.

Je suis encore une tête brûlée.

Je suis encore un mécréant.

Et, sacrament, j'en suis fort aise.

Je me pardonne tout, même en sachant mes défauts.

Rien à foutre de la culpabilité, du péché et des mille et unes humiliations prodiguées par une idéologie pour mettre quelqu'un au pas.

Vive la liberté.

Fuck toutte.

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