lundi 7 novembre 2016

C'est bien pour dire, hein?

Beau temps mauvais temps, Nathan était toujours content.

Il n'était pas d'un optimisme stupide. Il avait même des vues très noires à propos du genre humain. Tellement noires qu'il se réjouissait que l'humanité ne soit pas toujours aussi basse et mesquine qu'il l'aurait crue. Il s'attendait toujours au pire et quand le moins pire arrivait, il souriait.

Un rien le sauvait du désespoir. Un type qui caresse la tête d'un chat de ruelle. Un autre qui tient la porte d'un commerce pour laisser passer une dame encombrée de sacs. C'était du concret, ça. Et ça lui faisait oublier tous les holocaustes, toutes les guerres, toute la médiocrité dont l'être humain est capable.

Pour préserver sa bonne humeur, Nathan chantait dans sa tête du matin au soir. Tout le répertoire connu et inconnu de la chanson française y passait. Ainsi que tout le répertoire de la musique pop. C'était un juke box ambulant, Nathan, et même que ça en devenait lassant puisqu'il se mettait aussi à les sortir de sa tête. Il était du genre à siffler ou chantonner en travaillant. S'il ne se rappelait plus de paroles, il en inventait d'autres. Et laissez-moi vous dire que les paroles de substitution étaient vulgaires, malpropres et même scatologiques. Il tenait ça de son père, ce gars de shop qui déformait toutes les chansons pour y insérer des allusions à des types qui chiaient dans leurs bas. Allez savoir pourquoi. Peut-être évacuait-il lui aussi toutes ses désillusions par ce recours à des expressions ordurières.

-Aux Champs Élysées! Doubidoubidou... Il chiait dans ses bas! Doubidoubidou...

Nathan fréquentait peu de gens. Il avait vainement tenté de faire partie d'un groupe, d'être un gars populaire, bref de faire comme tout le monde. Ça ne lui avait jamais réussi. Il n'avait jamais été autant malheureux qu'à cette époque où il se pliait aux conventions sociales.

Il avait fini par trouver sa voie. Sa voie était très éloignée des sentiers empruntés par tout un chacun. Nathan n'écoutait jamais la télé, ne sortait pas dans les bars et ne voyait pratiquement personne, sinon sa blonde qui était aussi sauvage que lui et ne tenait pas tant que ça à fréquenter ces humains qui l'avaient tant déçu dans sa vie.

Nathan ne prenait pas de médicaments pour l'anxiété, le stress ou quoi que ce soit. Il avait trouvé son remède dans cette relative solitude qu'il chérissait de tout son coeur. 

-Moins j'en sais, mieux c'est. Je veux rien savoir des coquetels, des réseaux d'amis, des cinq à sept, des partys, des spectacles, des réunions, des meetings, de Trump, de Clinton, de whatever... J'veux juste avoir la sainte-crisse de paix. Fuck la politique. Fuck les conventions. Fuck toutte. Qu'i' mangent toutte d'la marde! disait-il le plus sérieusement du monde, sans haine et sans malice, comme s'il n'y avait rien de mal à penser ça.

Nathan tenait ces propos sans vergogne à des gens qu'il soupçonnait de penser comme lui. C'était sa manière de leur donner une tape sur l'épaule pour leur dire qu'il n'était pas anormal ou malade mental de penser comme lui.

-T'as bien raison Nathan! lui répondait Untel ou Tel-autre. Qu'i' mangent toutte d'la marde! Moé j'suis Jos Meilleur, si ça fait pas icitte, ça fait ailleurs!

-En plein ça! On a rien qu'une vie à vivre pis on n'est pas pour la passer à s'expliquer. Beau temps mauvais temps, Nathan est toujours content!

-Comme le chantait Cassonade, j'aime autant mourir incompris que d'passer ma vie à m'expliquer...

-You bet! J'l'aime bien lui, Stephen Faulkner...

-Moé 'ssi. Hostie qu'i' fitte pas... Pareil comme Plume... 

On pourrait croire que des types comme Nathan ne se rencontrent pas à tous les coins de rue. Je me demande si c'est le cas. Je ressemble tellement à ce Nathan que j'ai l'impression que nous formons une vraie communauté de gens qui ne veulent pas bien paraître pour faire plaisir à des faux-culs.

Nous nous croyons seuls, différents, marginaux. Et peut-être que nous sommes devenus la norme. Une norme occultée sous le babillage et les formulaires des institutions corrompues.

Chaque jour emmène un peu plus de solitaires dans la communauté de ceux qui ne veulent pas devenir fous comme tout le monde.

On se croit un, deux ou trois comme ça. Puis on en rencontre dix, vingt et bientôt des milliers qui pensent et agissent comme Nathan.

C'est bien pour dire, hein?




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