samedi 11 juillet 2015

Quelques anecdotes tirées de mes tribulations dans le système de santé

Samedi dernier, j'ai attendu un peu plus de neuf heures à l'urgence avec ma plaie qui suintait derrière ma tête. J'en ai vu de toutes les couleurs au cours de cette longue période d'attente. Je me trouvais parmi mes frères et soeurs blessés au combat qui souffraient autant de leur bobo que d'une trop longue attente sur un banc de plastique peu confortable.

Cela faisait huit heures que j'attendais lorsqu'une dame dans la cinquantaine se pointe à l'urgence en gueulant.

-Vous allez m'passer tout d'suite mes tabarnaks! Ça m'prend ma méthadone! Chu morphinomane moé calice! Si vous m'passez pas tout d'suite ça va aller mal en calice!

La pauvre dame, qui a l'air d'une grébiche, est accompagnée de son conjoint, un type un peu baraqué qui ne lâche pas son cellulaire.

-Linda (la grébiche s'appelait Linda) i' faut qu'j'aille fumer dewors! qu'il lui dit.

-C'est pas l'temps d'aller fumer sacrament! Faut qu'i' m'passent tout suite ces hosties d'chiens sales de tabarnak! J'manque d'air! J'étouffe! Pis toé tu penses rien qu'à aller dewors fumer ta christ de cigarette? T'es pas capable d'attendre cinq minutes saint-chrême d'hostie?

-Faut j'aille fumer... J'su's p'us capable!

Le type s'en va fumer dehors. Linda continue de taper une crise. Elle crie, elle hurle, elle jappe. Tout le monde aurait envie qu'elle ferme sa gueule. Puis un agent de sécurité vient la voir et elle trouve accès sur-le-champ au médecin après moins de dix minutes d'attente. Nous qui attendons depuis neuf, dix ou onze heures apprenons à la dure la médecine à dix vitesses...

-Moé 'ssi j'me drogue pis j'va's toutte casser dans l'urgence si j'passe pas tout d'suite! s'exclame un vieillard sur un ton teinté de cynisme, d'ironie et de mépris.

Entre temps, le conjoint de Linda revient dans la salle d'attente. Il a fumé sa clope et peut prendre quelques minutes à la digérer sur un siège de la salle d'attente.

Il semble avoir fumé du tabac non autorisé puisqu'une odeur de moufette l'accompagne.

Évidemment, ça le rend plus volubile.

Il entame donc une conversation avec les blessés qui l'entourent.

-Harper i' va s'faire battre aux prochaines élections... C'est un trou d'cul Harper... C'est un régime militaire lui... Y'est comme Bush le chien sale... Moé j'ai fait dix ans de service militaire aux États-Unis pis au Canada... Pis j'peux vous l'dire: Harper c'est un hostie d'mangeux d'marde! C'qui s'en vient là, c'est Julien... Julien Trudeau... Y'est milliardaire Julien Trudeau... Harper y'avait rien qu'un ranch avec trente chevaux malades... C'est un trou d'cul Harper... Julien Trudeau y'est aussi riche que son père l'était... Pis i' va légaliser le tabac qui fait rire... Tout l'monde va pouvoir fumer son ti joint tranquille pis ça va être le bonheur pour tout l'monde... Mais Harper? Un mangeux d'marde, oui monsieur. I' veut qu'on marche au pas comme dans l'armée le christ de sale... Julien Trudeau i' pourrait l'acheter mille fois Harper pis l'faire sécher su' une tablette parce que Julien Trudeau y'en a en masse d'l'argent parce qu'i' est milliardaire...

Linda sort de sa rencontre avec le médecin au bout de dix minutes. On lui a peut-être donné sa méthadone, sa morphine ou le Diable sait quoi.

-Appelle mon fils sur ton cell... Dis qu'i' vienne nous charcher... J'payerai pas un autre taxi...

Le type qui déteste Harper appelle le fils de Linda. Il semble dire qu'il ne pourra pas venir la chercher parce qu'il travaille à seize heures.

-Passe-moé ton cell que j'lui parle tabarnak! s'insurge Linda.

Elle retire le cellulaire des mains du soldat défroqué.

-Viens m'charcher calice! Ça va t'prendre juste une demie heure! Tu s'ras pas en r'tard à ta calice de job sale! J'te dis de v'nir me charcher tabarnak!!! Heille! J'te d'mande pas de m'passer d'l'argent ciboire! J'te d'mande juste de v'nir nous charcher moé pis Johnny... Faut j'passe à 'a pharmacie pour ma prescription pis j'rentre à 'a maison après... Viens m'charcher tabarnak!!!

Quelques minutes passent. Linda et Johnny quittent l'urgence. Le calme revient. Tout le monde est soulagé de pouvoir souffrir en silence devant l'écran plat de la salle d'attente qui diffuse un film de série B du réseau TVA. C'est grosso modo l'histoire de trois filles qui se font sécher les dents sur la plage en ayant des amourettes sans lendemain avec des connards.

J'attends en lisant l'anthropologue Serge Bouchard d'un oeil distrait et fatigué. Des enfants pleurent de temps à autres. Des vieillards sourds comme des pots se demandent à chaque instant s'ils ont raté leur tour compte tenu qu'ils n'entendent rien de ce qui est baragouiné dans l'interphone.

-Gaétan Bouchard est demandé à la Salle A. Gaétan Bouchard Salle A! que j'entends dans l'interphone.

Je viens de gagner à la loterie. Je me dirige d'un pas décidé vers la salle de torture...

***

L'histoire pourrait s'arrêter là. Il me faut cependant ajouter un petit commentaire qui n'est pas tout à fait en lien avec mon propos.

Je constate depuis une semaine que les réceptionnistes de l'hôpital et du CLSC manquent totalement d'égards envers les gens dans une proportion de 9 sur 10. Ce qui me met hors de moi à tout coup et provoque des réactions de ma part.

Les réceptionnistes n'ont pas de temps à perdre avec les civilités. Elles y vont aussi bêtement que les caissières de la pharmacie.

-Air Miles?

-Non, moi c'est Gaétan Bouchard...

Vous voyez ce que je veux dire? Pas de bonjour. Aucune marque de politesse. Aucune courtoisie. Seulement un beau tas de marde pour t'accueillir.

-Adresse? Nom? Carte? Rendez-vous? Bip? Bip? Bip?

Je ne leur demande pas de me licher les pieds. Seulement de ne pas accueillir aussi bêtement une personne humaine qui contribue à leur rémunération via les taxes et les impôts.

J'ai donc réagi à ce manque de déférence chaque fois que l'on me considérait comme du bétail.

-Madame, le manque de courtoisie est la plaie de notre époque et je m'attriste de constater que vous vous abandonnez à l'esprit de notre temps... Est-ce que je vous ai fait du tort? Y'a-t-il une bonne raison pour que vous me parliez sur ce ton hargneux? Est-ce mon pansement autour de la tête qui vous intimide?

J'ai obtenu des regards remplis d'éclairs, évidemment. On ne m'a pas mieux accueilli pour autant. Cependant il me semble que j'ai reçu l'approbation de tous ceux et celles qui souffraient dans la file d'attente. C'est au moins ça de pris.

Si l'on ne réagit pas au manque de délicatesse de ces préposées à l'accueil si peu accueillants nous sombrerons tous dans la haine et la colère.

Les médecins et les infirmiers m'ont semblé nettement plus humains pour une raison qui m'échappe.

C'est dit. Et ce sera redit encore tel que je me connais.





4 commentaires:

  1. je le dis pas à tous les coups parce que je passerais mon temps à me répéter, mais j'ai toujours un fun noir à te lire! (soigne bien cette précieuse tête - et tout ce qui la porte...)

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    1. @le plumitif: arrête! J'ai déjà la tête enflée avec ma blessure au coco... ;)

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  2. Cet hiver j'ai passé 13 heures à l'urgence pour avoir le médicament pour une thrombose aiguë, il va sans dire que j'ai pété une coche rendu au matin alors qu'on me disait qu'il fallait encore attendre une ou deux heures...

    Quand j'ai fait ma crise cardiaque en juillet dernier, l'infirmière n'arrivait pas à coller un des collants pour le ECG; le médecin attendait après ça pour me passer: ça lui a pris 20 minutes pour faire un ECG qui prend normalement 1 minute à faire, plus deux aides d'autres infirmières, aussi incompétentes, j'ai pété un câble solide, il va sans dire, même en pleine crise cardiaque... Ils pensaient pas... C'est drôle, le service a accéléré en crisse tout d'un coup!

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  3. @Julius Nonna Frans: Je te comprends d'autant plus que je me suis retenu pour péter une coche... J'ai payé mes études en travaillant à titre de préposé aux bénéficiaires au CHUL ainsi que dans des foyers pour cas lourds. J'ai la perspective du soignant tout en ayant celle du soigné. Lorsqu'on m'a traité à l'urgence le docteur a dû rappeler à l'infirmière qu'elle devait porter des gants tandis qu'elle jouait dans ma plaie... Il a vu mes yeux qui regardaient les mains de l'infirmière... Semmelweis a pourtant enseigné l'importance qu'il faut apporter à l'hygiène dans les soins de santé pour assurer la guérison des malades... Cent cinquante ans plus tard la leçon ne passe pas encore... J'espère seulement qu'elle ne m'a pas crissé le SRAM dans la tête...

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