vendredi 1 avril 2011

Gavroche chez le serrurier

Je suis allé chez le serrurier hier pour dupliquer mes clés.

Il y avait trois employés, deux dames d'un certain âge pas très souriantes et un vieux monsieur à la moustache nietzschéenne. Il semblait déguisé en Sergeant Pepper avec son uniforme de sécurité. Les trois employés n'étaient pas tant dérangés par ma présence que par celle d'un client bien plus particulier que moi, avec ma minable commande de doubles de clés. Lui, bien plus ambitieux, voulait savoir le prix des coffres-forts.

Le client en question ressemblait vaguement à un elfe pouilleux. Il était crotté de la tête aux pieds. Il devait avoir entre neuf et dix ans. Un petit carosse de broche l'accompagnait. Il était rempli à ras bords de souliers, bouteilles vides et bouts de bois.

-C'est sûrement un p'tit voleur! exprimaient les visages des trois employés.

Le petit client ne s'en formalisait pas trop. Et il posait ses questions comme un grand monsieur.

-C'est combien... C'est combien un gros coffre-fort de même? qu'il demanda en pointant le modèle qui ne s'était pas rendu plus loin en raison du nerf sciatique de Sergeant Pepper, qui en plus de s'occuper de la sécurité se tapait encore la manutention.

-C'est huit cents dollars, répondit stoïquement la plus aigrie des deux dames d'un certain âge.

Tout dans son attitude me faisait l'entendre «fous-le camp d'ici jeune voyou!».

Il en avait vu d'autres, le jeune pouilleux. Il avait pris l'habitude de se faire poliment expulser des lieux. Tout ça parce qu'il n'avait pas la monnaie exacte pour s'acheter un coffre-fort ou bien un expresso allongé avec une biscotti.

-Un jour j'va's être riche madame, ajouta le jeune Gavroche. Pis j'va's m'acheter un coffre-fort... Comme celui-là... Me le feriez-vous pour cinq cents piastres cash? Hein?

Personne ne répondit à cette réplique saisissante. Sinon votre humble serviteur.

-T'es déjà en business jeune homme. J'parie que tu vas aller loin dans 'a vie! que je lui ai dit, à défaut d'autre chose.

J'ai payé mes clés. Sergeant Pepper et les deux dames d'un certain âge m'ont à peine saluer. Ils avaient le regard fixé sur le jeune crotté, dans la crainte de se faire voler des clés ou des coffres-forts.

Le soleil brillait. La neige fondait. Et leurs hosties de clés ne fonctionnaient pas.

Je suis retourné chez le serrurier en après-midi pour les refaire. Le jeune débrouillard n'était plus là. Sergeant Pepper non plus. Il ne restait que les deux dames d'un certain âge qui m'ont offert un nouveau service de cul avec de nouvelles copies de clés qui ne fonctionnèrent pas plus.

Ce qui fait que je dois encore y retourner ce matin. Trois fois chez le serrurier, pour des hosties de clés. Imaginez si j'avais acheté un coffre-fort...

8 commentaires:

  1. Kwey, Butchman!

    Sweet histoire pour un premier avril. Pas pu m'empêcher de visualiser Monsieur Émile, sous les traits du jeune Guillaume Lemay-Thivierge, dans le rôle de ton gangster en culottes courtes. «Entre neuf et dix ans», c'est délicieux, un de ces délicats détails dont tu émailles tes esquisses, dissimulés entre des effets plus frappants a priori, mais qui en font tout le prix et trahissent quelle sensible grosse bête artistique tu es vraiment.

    J'ai jamais compris ce qu'est une dame d'un certain âge, d'autant plus que mon impression fluctue avec le temps. Ici, tu t'en sers en corrélation avec un monsieur qualifié de vieux, ce qui ajoute à ma confusion, parce que tu choisis toujours tes termes pour une raison. Faut-il comprendre que le bonhomme est nettement plus vieux que les bonnes femmes, ou alors qu'ils sont contemporains et que l'auteur fait simplement preuve de courtoisie envers les vieilles parce qu'il est bien élevé, à moins que ce soit un second degré, un sous-entendu, vu que les vieilles sont connues pour se qualifier elles-mêmes de dames d'un certain âge?

    Anyway, si tu dois récupérer tes clés deux fois de deux femmes en deux jours, aussi bien qu'elles soient le plus croûlant possible, autrement tu serais pas sorti du bois, Makwa Grizzly.

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  2. Avé Christian,

    Monsieur Émile me fait penser à Gavroche. Et Gavroche me fait penser à ce jeune homme qui plus tard en fera baver plus d'un parce qu'il apprend déjà à se défendre dans la vie alors que d'autres jouent encore avec des figurines.

    Les dames d'un certain âge sont entre deux âges, plus près de la retraite que du premier emploi. Leurs clés n'ont jamais fonctionnées. Je me suis résigné à me rendre chez Rona après trois visites chez le serrurier à ramener des clés qui n'ont jamais fonctionnées. Ce que j'ai ramené de mieux, c'est ce texticule.

    Migwetch (merci) m'sieur!

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  3. Rona, héhé. Roland et Napoléon. À croire que les dames ne sont pas douées pour fabriquer des clés. Les chevaliers partant pour la Croisade en étaient déjà persuadés, qui leur bouclaient des ceintures de chasteté.

    Gavroche est mort trop tôt pour qu'on sache combien il en aurait fait baver plus tard, trop jeune pour qu'on puisse considérer qu'il avait appris à se défendre. Quant à Monsieur Émile, l'histoire ne le dit pas, si mon souvenir est juste, mais ma lecture remonte à trente ans et ne m'avait pas marqué des masses. Je sais qu'il est devenu un nom de fromage et que son interprète à l'écran fait maintenant la pub de Hyundai, autrement je n'en ai aucune idée...

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  4. D'un âge certain ,plutôt que d'un certain âge j'aime ton roman à clefs.

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  5. Mist., Le Matou c'est l'histoire d'un mec qui ne réussit pas à vendre ses bines et sa soupe aux pois à cause des Anglais et des gens qui semblent porter un nom à consonnance judaïque... Roman qui me rappelle L'appel de la Race de Lionel Groulx avec des scènes de baise plus intéressantes. Rien pour fouetter un chat. Roman nationaliste plate et cryptement édifiant. Le film était meilleur.

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  6. Rappelez-vous monsieur Ratablavasky !!!

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  7. Oui, oui, ces aspects-là de l'histoire sont non seulement restés clairs à mon esprit, mais en prime je partageais absolument tes impressions, j'éprouvais un très semblable malaise. Ce que je n'ai pas retenu, c'est le sort du gamin. Ce matin je me demandais s'il mourait tragiquement à la fin comme dans un roman du dix-neuvième. C'est ta faute, aussi, avec ton Gavroche. Enfin, je me creusais en vain. Rien. Le blanc. Ce soir, j'ai comme un flash qu'il aurait été adopté par le couple, mais savoir si ça me vient du roman, de la série télé ou si je l'ai juste imaginé, je n'en saurais jurer.

    Une autre affaire qui me tracasse, c'est comment cette histoire dont les principaux thèmes se résument en effet dans mon souvenir à ceux que tu évoques (plus la figure du Kid et du matou) se développait sur six cents pages. À l'évidence, quantité de péripéties me sont sorties de l'esprit sans laisser la moindre trace. Mon plus net souvenir du livre est de l'avoir lu jusqu'au bout, et des réactions qu'il suscitait en moi, dont je te parlerai ailleurs qu'ici et pas maintenant.

    Yves a publié une version revue et corrigée il y a quelques années. Tes souvenirs sont plus nets que les miens, tu t'amuserais peut-être à feuilleter ça en un survol comparatif. Moi, faudrait que je relise le premier avant même de songer à m'amuser avec le second, ce qui revient à devoir s'assouplir le trou de cul le temps qu'il faut pour passer de l'accueil d'un stylo à l'accueil d'un rouleau à pâte avant même de songer à s'amuser avec le fistfucking. Chu trop vieux et pus assez curieux: m'en vas attendre pour la version tévé, revue et corrigée...

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