Elle était arrivée à l'hôpital par une journée froide de novembre.
La pluie s'était transformée en neige et l'on voyait des automobiles dans le creux des fossés et autres poteaux. Un sale temps même pour les ambulanciers.
Que dire d'elle? On l'avait retrouvée au sol, fracturée de partout, dans un logement miteux du centre-ville où la pauvre survivait seule tant bien que mal.
Deux ambulancières vinrent la tirer du pétrin suite à l'appel d'un voisin providentiel, Méo, un septuagénaire polytoxicomane connu pour faire le ménage dans les bars au centre-ville. Méo l'entendit gémir et eut la présence d'esprit de composer le 911.
-Sans vous, cette dame serait morte... laissa tomber Laureen, la grande aux bras tatoués du duo d'ambulancières.
Elle n'était pas morte. Mais elle n'était pas forte.
Elle refusait les soins et si ce n'était que d'elle, elle serait retournée dans son logement miteux du centre-ville. Ce qui n'était plus envisageable puisqu'elle ne tenait plus debout sur ses deux pieds et qu'elle était lourdement affectée par quelque chose qui, manifestement, grossissait en elle.
Ce quelque chose, c'était le cancer.
Elle vomissait depuis des mois. Elle perdait souvent pied. Elle se disait que c'était la vieillesse, même si elle n'était pas encore à l'âge de la retraite obligée.
C'était le cancer. Un cancer devenu trop gros pour l'arrêter.
Le diagnostic des médecins était sans appel pour cette pauvre femme: cancer généralisé, soins palliatifs, merci bonsoir...
Elle ne comprenait pas tout à fait sa situation.
C'était comme si elle souhaitait vivre encore, même si franchement elle n'y trouvait plus grand chose d'intéressant.
Sinon cet oiseau quel avait vu sur la branche le matin en regardant par la fenêtre.
Ou bien cette préposée, l'Africaine qui avait un prénom compliqué, Mamadi ou Mamada, celle qui l'avait lavée de la tête aux pieds puisqu'elle ne trouvait plus la force pour le faire elle-même.
Mamadi était tellement gentille...
Le temps pressait. Les médecins lui parlaient d'une masse qui grossissait et grossissait encore.
Son corps gonflait. C'était comme si elle se noyait à chaque respiration.
Sa peau se couvrait peu à peu de taches noires.
Du liquide purulent sortait de toutes les pores de la peau de ses jambes.
La masse grossissait.
Cela puait et c'était dégueulasse.
La mort se faisait sentir.
Ce serait bientôt des soins de confort.
-On ne peut plus rien faire madame... Nous allons pouvoir soulager la douleur... Vous laissez partir lentement vers le grand voyage...
Ce grand voyage, elle ne s'y sentait pas vraiment prête.
Mais personne n'était là pour l'emmener ailleurs.
Pas de famille, pas d'amis connus, rien de rien.
Elle était finie.
Elle le savait maintenant.
Elle respirait de plus en plus lentement.
Comme si elle se noyait.
À chaque respiration...
-Brrr.... (pas de souffle pendant 10 secondes)... Brr... (un autre 10 secondes...)... Brr...
L'oiseau...
Il était là, sur le bord de la fenêtre...
Il faisait cuicui au lieu de brr.
C'était tout ce qui comptait.
Parce qu'elle n'était plus là.
Elle était morte.
Et ne demandez pas ce qu'ils ont fait de sa dépouille.
Ou bien si cette dame eut des funérailles.
Elle était cet oiseau qui maintenant s'envolait vers d'autres contrées.
Pour vivre d'autres printemps j'imagine.
Pour ce qui est du deuil et de tous ces trucs-là, Fatoumata Sall alias Mamadi faisait ce qu'elle pouvait afin de saluer la mémoire de ces presque fantômes qui passaient devant elle.
-Qu'Allah la bénisse! disait-elle.
Allah grâce de Dieu.
Que voulez-vous.
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