LE MANGEUR DE HOT-DOGS Acrylique, 8X10po. Coll. privée |
Rien n'est plus pathétique qu'une écriture au je qui se morfond d'écrire comme une personne singulière à considérer en premier.
Tout le monde sait que le moi est haïssable. Les autres vous diront que c'est Blaise Pascal qui l'a écrit.
Je est un autre. Cet autre-là s'appelait Arthur Rimbaud...
Vous voyez tout de suite que j'ai les codes convenus pour passer le test de l'intelligence superficielle chez les scribes du pharaon.
Pour les autres, les vrais, je ne suis que moi-même.
Popeye le marin résume un tant soit peu ce que je suis en des termes de haute mer. I yam what I yam cos' I yam what I yam. I'm Popeye the sailor man! Toutte! Toutte!
Chu c'que j'suis parce que chu c'que j'suis. Chu Borgne le marin pis c'est toutte! Toutte! Toutte!
Popeye, l'anti-héros créé par Segar pendant la Grande Dépression économique des années '20, c'est le laid des laids qui, parmi d'autres encore plus laids et éclopés, rétablit la justice autour de lui tout en mangeant des tas d'épinards.
J'ai grandi dans un monde laid, croyez-moi, où les Brutus et autres malabars étaient légions.
Alors que je cherchais mon Olive dans la misère des années '80, alors qu'il y avait 30% de chômage à Trois-Rivières et des garde-robes remplis de suicidés qui avaient tout perdu, je me faisais un je somme toute proche de Popeye, mon anti-héros préféré.
Je m'achetais vraiment des épinards en conserve...
Je me faisais réchauffer des cannes en y ajoutant du beurre et du sel.
Comment ai-je pu faire? C'était franchement dégueulasse.
Des épinards frais, cuits sans eau, avec beurre et sel, là tu parles.
Mais des épinards en canne?
C'était de la vraie christ de marde.
Pourtant j'en mangeais.
Je me prenais même pour Rocky Balboa, parce que mon quartier avait l'air aussi crado et misérable que le sien.
Je fessais sur les morceaux de viande congelés qui arrivaient dans le frigo de la boucherie du IGA. J'y faisais fonction de commis.
Il fallait bien que je paie mes cannes d'épinards.
L'été, pour me faire des gros bras et des grosses jambes, je faisais des longueurs dans la grande piscine du Parc de l'Exposition aux Trois-Rivières. De 13h00 à 17h00 je nageais lentement mais sûrement, sans m'arrêter, au grand dam de mes amis qui me trouvaient ennuyant avec raison.
Le matin je pouvais me taper des 50 kilomètres de vélo le matin.
Bref, c'était la puberté.
Il fallait bien que je calme un peu mon feu intérieur.
Jusqu'à ce que je trouve ma fiancée.
En attendant, je ne me laissais plus menacer par aucun Brutus.
Je gagnais en assurance à chaque jour.
Je devenais cet autre que j'avais souhaité devenir.
Je n'étais plus la peur et la timidité incarnée.
Je devenais ce gros monstre qui vous écrit encore des plaisanteries à ce jour.
Ce gros monstre avec un fonds de timidité qui, pour tout dire, sauve mon humanité.
Cette idée de ne pas froisser autrui.
D'être quelqu'un de bien.
Popeye, normalement, sait se faire aimer.
Il peut même pardonner à Brutus s'il prend son gaz égal.
Vous qui lisez mes niaiseries, je suis surpris que vous vous soyez rendus aussi loin avec cette dissertation déconstruite sur le Je.
Si j'avais été César, je parlerais de moi à la troisième personne du singulier.
Mais je n'ai pas fait la guerre des Gaules.
Je vis dans ma petite province gauloise sur un territoire autochtone non-cédé.
Je suis un Popeye de Trois-Rivières.
Bref, un joyeux Ti-Caille.
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