vendredi 13 mars 2009

TRISOMIE


Tout le monde riait dans l'autobus hier matin.

Enfin presque tout le monde, dont moi.

Et c'était à cause de Linda, une trisomique dans la trentaine qui semble très autonome et très ordonnée, en plus de déborder de joie de vivre. Tellement qu'on oublie parfois qu'elle n'est pas comme tout le monde.

Linda rit tout le temps. Et quand je dis tout le temps, c'est vraiment tout le temps. Et elle parle avec tout le monde. Vraiment tout le monde.

Ce qui fait que Linda est devenue rapidement l'amie de tout un chacun.

C'est étrange ce que je vais dire, mais c'est comme si c'était elle, le matin, la cheffe de la tribu, le point central quoi. Sa trisomie et le devoir que nous devons de l'accepter nous rendent certainement meilleurs. J'en tiens pour preuve que tout le monde riait hier, tout le monde, et d'un rire bon enfant qui se mariait parfaitement aux premiers rayons du soleil qui pointaient sur la ville entre les silos à grains du parc portuaire.

Linda était assise sur un banc de côté. Elle envoyait des tatas aux étudiants dans l'autobus qui roulait à nos côtés. Les deux chauffeurs se racontaient la partie de hockey de la veille en se tirant la pipe pour les résultats de la prochaine partie. Et leurs deux gros bus bloquaient les deux voies, comme de raison. Ce qui permettait à Linda d'exécuter des tatas tous plus drôles les uns que les autres aux étudiants de l'autre autobus accolée à la nôtre.

J'ai pensé un moment que ces étudiants se moquaient de Linda qui leur envoyait des tatas sans s'arrêter depuis au moins trois bonnes minutes. Mais non, ils riaient de bon coeur et il n'y avait pas du tout de méchanceté dans leur rire. Ce qui m'a bien sûr étonné. Et m'a forcé de croire que la nature humaine n'est pas toujours mauvaise.

Puis les bus se sont distancés l'un de l'autre. Linda a tiré sur la sonnette et a débarqué à son arrêt avec une déficiente intellectuelle qui l'accompagnait. Je pense qu'elle s'appelle Gisèle mais je n'en suis pas certain. Elle s'était déguisée en fantôme à l'halloween. Et puis c'est tout ce que j'ai retenu d'elle.

Un vieux était assis sur le «banc des innocents», le premier banc de biais avec le chauffeur dans le jargon du métier. Il riait à plein dentier et c'était beau de le voir. Il a salué Linda quand elle s'est levée pour débarquer à son arrêt, accompagné de Gisèle.

-Bonne journée Linda! qu'il lui a dit, avec un petit trémollo de vieillard au coeur tendre dans la voix.

-Bonne z'ournée m'sieur Bibeau! qu'elle lui a répondu. I' fa' beau hein?

-Mets-en qu'i' fa' beau bel enfant! Hahaha!

-I' fa' beau m'sieur Bibeau! Hahaha!

-Ha! Ha! Ha!

Linda est débarquée avec Gisèle. Le chauffeur a accéléré. Et monsieur Bibeau s'est mis à sourire à plein dentier, les yeux lourds d'une vieillesse écrasante, mais avec cette petite larme au coin de l'oeil encore discernable malgré la sécheresse des années.

Le monde était parlable, qu'il se disait en lui-même. Et ça le rendait ému. Que voulez-vous, il est comme ça monsieur Bibeau, la gorge nouée d'émotion par toute personne qui répond à ses bonjours.

Sacré monsieur Bibeau!

Sacrée Linda!

Pis Gisèle, ben j'la connais pas trop encore. J'vous en r'parlerai une autre fois, ok?

We've got to live together...

7 commentaires:

  1. "Le monde était parlable, et ça le rendait ému". J'ai comme pour mon dire que pour le ému, il en a va de même pour un certain Gaétan Bouchard.

    Mais je pourrais pas l'affirmer, et le payer drette là dans la piasse, parce que je le connais pas trop encore, Gaétan. J'attends qu'il ait fini de me déballer un par un sa jungle de méchants souriants, ou de souriants méchants.

    C'est pas demain la veille que je vais le connaître.

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  2. Sacrée Helenablue!

    Sacrée Venise!

    Sacré moi!

    Étais-je ému? Ouin, mais faut pas le dire à tout le monde. Je ne veux pas passer pour un vieux con hypersensible.

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  3. quand ça arrive, c'est cool, plusieurs gens qui s'entendent, sans même se connaitre, même si ça dure que 2 ou 3 minutes. les énergies passent entre eux et peuvent se libérer. ça rend une sorte de fierté qui vient de la poitrine. on est des humains.
    héhé! "pas si cons" des fois.

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  4. hum.. ce qui me touche le plouss, c'est l'absence de méchanceté des étudiants de l'autre bus.

    z'étaient à jeun tu crois ? ouais. un bô petit matin de mars.

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  5. oAo, quand ça va bien, ça va bien.

    Nina, quand c'est bô, c'est bô.

    Bon ben c'est vendredi soir.

    Bonne fin de semaine.

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  6. Wow, on aurait dit que j'était dans ce bus!! Je voulais te dire que tu as un talent, non seulement pour l'art mais, aussi pour l'écriture. Je suis heureuse d'avoir croisée ton lien dans une case commentaire d'un autre blog.

    Bon week-end, pour ce qu'il en reste.

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