samedi 27 août 2016

À pied et à vélo depuis bientôt cinquante piges

Tout jeune, je devais tout faire à pied ou à vélo. Je trouvais difficile de ne pas avoir d'automobile. Cela en disait trop long sur mes origines. J'étais donc pauvre. Enfin, pas tant que ça. Notre frigo familial était plein. Peut-être même trop plein: du fromage cheddar à satiété, du  yogourt, des pâtés de toutes sortes, des desserts, des steaks épais comme ça. Nous allions à pied ou à vélo mais nous ne crevions pas de faim. C'était mieux que rien. Mais ce n'est pas comme ça que j'allais me faire une blonde que je me disais.

J'ai malheureusement poursuivi mes études dans un collège privé. Je travaillais dans une épicerie pour m'offrir ce cadeau empoisonné. J'étais bien sûr parmi les plus pauvres de tous les étudiants. Certains s'y rendaient en voiture sport de renom. D'autres allaient passer leur Spring Break en Floride ou bien en Californie. Moi, je travaillais. Et toutes les filles de luxe du collège me semblaient tout à fait inaccessibles. D'autant plus que j'étais à pied et que je provenais des bas-quartiers de la ville, ce que trahissait mon accent, mes sacres et ma façon de dire constamment moé pis toé. Que faire d'un fils de prolétaires qui portait un prénom ridicule: Gaétan...

Je suis passé ensuite à la faculté de droit de l'Université Laval dans l'espoir de devenir un avocat qui travaillerait pour les syndicats, les veuves et les orphelins. J'ai fréquenté là aussi des gosses de riches qui ne comprenaient pas pourquoi je travaillais de nuit à torcher des culs au Centre hospitalier de l'Université Laval. Ils avaient sans doute raison. Au bout d'un an, j'ai dû quitter les études. Je n'étais pas capable de me les offrir. J'ai préféré me joindre aux hordes communistes et anarchistes de Québec pour faire la révolution. Je devins un Gaétan en colère prêt à plonger tous les riches dans une fournaise de glaives chauffés à blanc.

Les années passèrent. J'allais encore à pied et à vélo. Je trouvai cependant le moyen de me faire des blondes et de me rendre jusqu'en Alaska. Je laissai tomber le militantisme politique pour mieux choisir mes causes et donner du temps à l'amitié, à l'amour, aux arts et aux lettres.

Je fis quelques allers et retours d'un océan à l'autre. Puis je revins m'installer dans mon pays.

Je n'avais plus rien à foutre des faux-semblants, des bourgeois et des péteux de broue.

J'étais enfin libre. Libre de mon orgueil stupide qui me faisait espérer de jouer la partie de tout le monde alors que tout m'excluait de cette partie, dont ma conscience sociale, mon besoin de justice, mon mépris des hypocrites, ma musique, ma peinture et ma révolte tant physique que métaphysique.

Je vais encore à pied et à vélo, même si ma blonde conduit une camionnette Chevrolet Uplander qui nous mène parfois en-dehors des sentiers battus. Je suis content de ne pas conduire et ne voudrais pour rien au monde guérir de mes yeux astigmates qui n'ont pas un bon focus à haute vitesse. C'est une joie maintenant que de tout faire à pied ou à vélo. J'ai des jambes grosses comme des troncs d'arbre et ma colonne vertébrale est solide. J'approche de la cinquantaine dans une forme plutôt bonne malgré mon diabète et quelques petits pépins. Je dirais même que je pète le feu.

Je me réjouis d'être capable de marcher. Je suis tout sourire d'être capable de me taper trente kilomètres à vélo de temps en temps et cinq kilomètres à pied tous les jours. J'ai la sensation que je suis là pour rester. La sensation que mon temps n'est pas fini et que le meilleur s'en vient.

Je dis encore moé pis toé.

Et je ne cours ni les réceptions ni les vernissages ni les cinq à sept ni les coquetels de bourgeois soporifiques et hautains qui chient pourtant leur étron à la même place que tout le monde.

J'ai autour de moi des gens qui m'aiment. Et j'aime des gens.

Je ne suis pas riche. Mais je ne suis pas pauvre comme la gale. Je suis comme tous les autres déplumés et dépossédés de mon pays.

Bref, j'ai l'impression d'avoir réussi ma vie.

C'est tout ce que j'ai trouvé à vous dire aujourd'hui,

Ce n'est pas grand' chose, j'en conviens, mais c'est gratuit.



1 commentaire:

  1. J ' aime bien ton histoire de Gaétaneux -
    Ton expression " filles de luxe " m ' a bien fait rigoler -
    Mais surtout quand tu dis avoir réussi ta vie - t ' as raison ça a l ' air d ' aller très bien , tant mieux - Vivat !
    Moi aussi - j' vais avoir 62 piges dans 15 jours et je crois que j ' ai eu une belle vie , beaucoup de chance malgré les hauts et les bas , pas beaucoup de sous non-plus , et ce prénom ridicule ( Charles , quelle honte ! ) que j ' ai fini par aimer malgré son air un peu rococo - Merci la vie -

    RépondreEffacer