mardi 31 mai 2016

Épître à quelqu'un qui ne soucie pas du nombre de clics produits par ses textes

Thomas More et Érasme ont longtemps correspondu l'un avec l'autre sans se rencontrer. Je ne suis ni l'un ni l'autre, bien entendu, mais j'ai souvent l'impression de vivre d'aussi grandes joies intellectuelles que ces deux loustics avec mes correspondants.

L'un d'entre eux, que je ne nommerai pas pour une raison évidente, est demeuré dans le plus pur des anonymats pendant des mois. Je n'ai jamais osé lui demander son nom, son métier et ses origines. Je trouvais trop précieux ce bonheur de lire des propos intelligents sans que je n'aie à tout gâcher avec de la curiosité malsaine.

D'abord, il écrit sans fautes et sa plume semble trempée dans l'encrier de Schopenhauer. Il me tient des propos d'une précieuse lucidité que je ne rencontre que trop rarement.

J'ai bien d'autres correspondants dotés de belles qualités, mais je me reconnais dans ce qu'il écrit mieux que chez bien d'autres. Appelons ça le hasard.

J'ai su récemment quel était son nom, ses mille et un pénibles métiers et même son lieu de résidence.

Il s'est même mis à écrire sous son vrai nom pour une publication dont je tairai le nom.

Bref, il est sorti de son anonymat, avec possiblement une pointe de regret.

J'aimerais reprendre in extenso ce qu'il m'a écrit mais il faudrait que je lui en parle avant que de publier ici sa missive. Je n'ai pas le temps de le faire et dois couper au plus court par pure facilité.

Disons, pour résumer, qu'il m'a parlé de l'ambition qu'il a de vivre de sa plume mais qu'il fait face à l'impossibilité d'écrire sur l'actualité et autres billevesées. En somme, il souhaiterait qu'on le reconnaisse pour ce qu'il est intrinsèquement, quelqu'un qui casse la routine des biens-pensants.

Si je ne peux pas vous dévoiler ce qu'il m'a écrit, je puis tout de même vous révéler ce que je lui ai répondu.

Ça vaut ce que ça vaut.

Et, franchement, c'est mieux que rien.

Voici donc mon épître à quelqu'un qui ne se soucie pas du nombre de clics produits par ses textes.

***

Salut S***,

Tu fais bien de ne pas faire de forcing pour éviter de pondre de la marde.

Je connais quelques blogueurs qui ne carburent qu'aux clics et se contentent de nourrir avec du caca bouilli les membres de leur secte. Untel se dit nationaliste et chie du nationalisme. L'autre est patriote et chie du patriotisme. Et le plus con colle à l'actualité parce que ça pogne alors qu'il a le jugement et la finesse d'esprit d'un cégépien qui habite encore chez ses parents.

Je ne nommerai pas ces blogueurs qui, de toutes façons, finissent par lasser les plus brillants pour mieux s'entourer de zéros. ("Tu veux te multiplier par dix, par cent, par mille? Tu veux des disciples? Alors, cherche des zéros." Friedrich Nietzsche que je cite de mémoire.)

Mon modèle en matière de chronique c'est incontestablement Le journal d'un écrivain de Dostoïevski. Comme lui, je me permets de passer de la littérature au commentaire d'actualité, de la psychologie des foules à la folie des hommes sans autre souci que d'être sincère avec ce que je couche sur le papier. Je ne suis pas parfait, loin de là, mais c'est mon seul et unique modèle avec, sans doute, Hunter S. Thompson, polytoxicomane et créateur du journalisme gonzo. Les essais de Montaigne me semblent pas mal aussi. Bref, et je le dis sans vantardise, je me suis donné des modèles à la hauteur de la démesure que je vise pour demeurer allumé.

Être capable de se regarder dans le miroir sans y voir un autre est la plus belle des qualités.

Puisses-tu écrire tous ces livres spéciaux dont tu rêves sans te soucier des revers de fortune et du contenu de ton frigo.

La sincérité ne rend pas plus populaire. mais elle éloigne les faux-culs. Même si ça ne sonne pas nécessairement en espèces sonnantes, c'est une grande récompense avant que de finir comme tout le monde la tête dans le trou des chiottes.

Alea jacta est! Et mort aux cons!


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