lundi 7 janvier 2008

LE PINSON, LE DIABLE, L'AFRICAINE ET LE VIEUX SEC

Vous raconter ma journée de samedi me fait un peu peur. C'est ce qui fait que je ne vous l'ai pas encore racontée. Je crains vraiment que vous me preniez pour un fou alors que je ne suis qu'un indécrottable logicien sur lequel tombent des tas d'évènements défiant toute logique.

Samedi, je me suis levé sans appréhension, avec la sensation que deux plus deux égalent quatre. J'ai bu mon café, comme d'habitude, en discutant avec ma douce. Puis j'ai navigué un peu sur l'Internet tout en me dépliant les orteils. Tout se serait très bien passé si je ne m'en étais tenu qu'à cela. Mais non! Il fallait que je sorte pour affronter le monde et sa cohorte d'évènements insolites.

IL SIFFLAIT COMME UN PINSON ET C’ÉTAIT LE SOSIE DE JEAN COURNOYER

Tout a commencé au Jean-Coutu de la rue Royale, à Trois-Rivières. J’y allais pour produire quelques photos de mes toiles pour mon port-folio.

Tout était on ne peut plus prosaïque et rationnel, jusqu'à ce que j'entende de drôles de chants d'oiseaux, des serins, des perruches ou des chauves-souris, je ne sais trop, mais ça sifflait beaucoup.

À force de chercher d'où ça provenait, j'ai bien vu qu'il s'agissait d'un monsieur un peu hilare qui sifflait comme un pinson. Il ressemblait à s’y méprendre à l’ancien ministre libéral Jean Cournoyer. Ne nous mèprenons pas pour autant puisque ce n’était probablement pas lui.

L'histoire ne s'arrête pas là. J'ai cru que mon siffleur avait oublié ses gants au comptoir où je me trouvais. J'ai couru derrière lui pour lui rapporter les gants. Et savez-vous ce que le pinson m'a répondu?

-Ce ne sont pas mes gants mais je vais les prendre pareil. Je pense qu'ils vont me faire.

Puis il est parti, simplement, en sifflant comme une perruche sur l'acide.

Je lui ai laissé les gants tout en me demandant s'ils étaient vraiment les siens. Au moment où j'écris ces lignes, je me pose encore la question.

RENCONTRE AVEC UN DIABLE CORNU

Après le Jean-Coutu, j'ai poursuivi ma promenade en direction du Super C, via le quartier Ste-Cécile, juste pour voir si rien n'était changé depuis que j'ai déménagé en mars dernier.

Comme je traversais la rue Laviolette, à la hauteur du dépanneur Couche-Tard, je suis tombé sur le Diable. Et quand je dis le Diable, je n'invente rien. C'était vraiment le diable, avec ses cornes, ses piercings et ses tatouages. Je n'avais jamais vu de cornes de diable aussi réelles.

-Salut Stéphane (appelons-le Stéphane, pour ne pas qu'il soit reconnu), comment tu t'es fait ça tes cornes?

-Ce sont des implants. Je me suis fait faire ça à Montréal.

-Toé, lui dis-je, faudrait vraiment que tu fasses des photos et que tu remettes ça à une agence de casting. Tu ferais du cash en sacrement

-Pas fou… J'vais y penser…

-Le diable, dans une agence de casting, ça doit bien valoir cent cinquante milles par année… Hein? Prends des photos de toi et envoie ça à Montréal, dans les agences de casting.

-J'vais aller voir ça. Ça me met vraiment la puce à l'oreille.

-En passant, tes boucles d'oreilles ont l'air pas mal lourdes… Tu n’as pas peur de t'arracher les oreilles avec tes breloques?

-Non, j'suis fait fort.

-Bon, ben, bonne journée Stéphane.

-Bonne journée Gaétan.

Stéphane est un chic type. Ce n'est pas vraiment un démon. Il a une bonne culture générale et ne manque pas de verve pour appuyer son propos. Il incarne le Diable en chair et en implants, par pur dandysme j'imagine. Il est de ces fiers originaux qui permettent à Trois-Rivières de ressembler à une cour des miracles plutôt qu'à une ville d'enfoirés qui ne savent pas conduire leur véhicule et encore moins bien se conduire avec les gens.

Poursuivant ma promenade, je faillis plusieurs fois me faire renverser par une automobile. Tous ces petits-bourgeois bien peignés et bien propres qui roulent à vive allure sans se soucier des piétons sont plus dangereux que le Diable lui-même, ce piéton occulte qui n'hésite jamais à s'arrêter un moment pour faire un brin de jasette.

J'en tire une leçon, mais je ne sais pas laquelle. De toute façon, mon histoire ne s'arrête pas là. Quand je vous dis que c'était un samedi particulier, je ne mentais pas. Poursuivons.

L'AFRICAINE ET LE VIEUX SEC

Je me suis finalement rendu au Super C en un seul morceau, défiant les chauffards tout en méditant sur le Diable et sur Jean Cournoyer.

Revenons au Super C. Voilà que je croise une Africaine, couleur café, dans la quarantaine. Je la connais à peine. Je sais qu'elle est l'amie de Namana, une autre Africaine qui a déjà travaillé avec ma blonde. Politesse oblige, je la salue et lui demande des nouvelles de Namana. Je n'insiste pas plus, par timidité, puisque nous ne nous connaissons pas vraiment.

Quelques instants plus tard, à la sortie du Super C, je la croise encore. Elle pousse son panier d'épicerie vers la sortie et me salue à nouveau. Je fais de même.

Puis voilà que surgit un type, un homme dans la cinquantaine, probablement un Québécois de souche, cinq pieds dix pouces, deux cent quelques livres, casquette sur sa calvitie, avec les yeux exorbités de celui qui sollicite des faveurs sexuelles. Et c'est bien ce qu'il fait à ce moment. Le vieux prend l'Africaine par le bras et prétend qu'il veut seulement lui souhaiter la bonne année…

L'Africaine se fâche.

-Vous m'avez suivie tout le temps dans le magasin depuis que je suis entrée! Qu'est-ce que vous me voulez? Foutez-moi la paix! Laissez-moi twanquille!

-Je ne veux que vous souhaiter la bonne année! Serrez-moi la main!

-Non! Non! Laissez-moi twanquille, crie l'Africaine.

-Oui! Oui! Laissez-moi vous serrer la main et vous embrasser...

-Non! Non! répond l'Africaine.

La situation devenait plus complexe. Et elle ne demeurerait pas complexe longtemps parce que mon caractère impulsif prit soudain le dessus. Bref, j'ai pogné les nerfs, comme d'habitude.

-Heille! Vas-tu lui crisser la paix tabarnak? Elle te dit qu'elle ne veut rien savoir de toé saint-chrême! Dé-calice!

Évidemment, le vieux sec a figé raide et s'en est allé tout penaud, la queue entre les jambes.

L'Africaine m'a remercié pour mon geste chevaleresque, a embarqué dans son taxi avec sa commande, puis j'ai pris le chemin du retour.

Arrivé à la maison, je me suis assis devant mon ordinateur, comme si rien ne s’était passé, exactement comme dans la dernière séquence du film After Hours de Scorsese.

Tiens, allez voir ce trailer pour vous le remettre un peu en mémoire.

C'est l'un de mes films déphasés favoris avec Wild at Heart de David Lynch et Taxi Blues, un film de Pavel Lounguine mettant en vedette l'inoubliable Piotr Mamonov, un auteur-compositeur-interprète de la scène alternative russophone.

C'est en voyant de tels films que l'on finit par tomber sur des gens sincèrement originaux.
C'est du moins ce que je crois. Et je ne suis pas sûr de le croire vraiment. Pour ma péroraison, j'affirmerais vraiment n'importe quoi. Désolé.


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