vendredi 4 janvier 2008

LA POÉSIE ET LA BOULOCRISTALLOMANCIE

C’est aujourd’hui, le 4 janvier 2008, à six heures trente du matin, que je règle le sort de la poésie. J’aurais pu attendre plus tard dans la journée, voire dans l’année, mais non : c’est vraiment aujourd’hui qu’il faut que cela se fasse.

LA POÉSIE ANCIENNE

Un bref survol de l’histoire de la poésie permettrait de comprendre qu’elle est d’abord et avant tout liée au chant, d’où la rime, qui oblige les mots à se conformer au rythme des instruments de musique. On imagine Homère s’accompagnant à la lyre pour chanter l’Odyssée. Ou bien ce pauvre Rutebeuf, chantant ses vers sur cette invention arabe, le luth, l’ancêtre de la guitare. Est-ce qu'ils «tiraient» à la guitare? - comme on dit de nos jours dans le jargon des musiciens. Peut-être. Homère et Rutebeuf furent peut-être les Bob Dylan de leur temps.

La poésie, c'est de la musique vous dis-je. Pourquoi la poésie ne s’écrivait-elle pas en prose avant le milieu du XIXe siècle? Parce que la poésie était encore intimement reliée au chant, c’est-à-dire à la musique.

Puis vint le romantisme. Les souffrances du jeune Werther, même en prose, devinrent de la poésie pure d’un coup de baguette magique. Baudelaire emboita le pas et se mit à voir de la poésie dans la boue, la charogne et, bien sûr, la prose. Il avait du talent, le bougre. Rimbaud et Lautréamont aussi. Il devint donc possible d’élargir le champ de la poésie à ces non-chants, à ces emportements écrits en prose, sans souci de rimer et, par conséquent, avec un défaut de fabrication pour celui qui voudrait les mettre en musique. D'où toute une flopée de disques soporifiques, ces récitations de prose accompagnées à la guitare ou à la flute à coulisses qui ne valent franchement pas un clou, d'où les subventions pour payer ces amusements d'enfants gâtés que l'on présente comme si c'était de la recherche fondamentale en microbiologie...

LA POÉSIE MODERNE

La poésie moderne est morte le jour où Lautréamont s’est mis à écrire sous son vrai nom. Les «Poésies» d’Isidore Ducasse représentent la clé permettant de transcender la poésie moderne, de la voir pour ce qu’elle est intrinsèquement, une tentative –parfois très esthétique, j’en conviens – de faire passer des vessies pour des lanternes.

Bien sûr, mes poètes préférés écrivent en prose. Blaise Cendrars et Jacques Prévert, c’est tout de même mieux que Virgile, qui m’indiffère, ou Boileau, qui m’endort. Par contre, le plus grand poète classique de langue française, au XXe siècle, c’est sans aucun doute Georges Brassens. Sa maîtrise du vocabulaire est parfaite. Et son talent de conteur fait tout le reste, sans oublier son jeu de guitare un peu hispanisant, hérité peut-être de Félix Leclerc, autre grand poète au sens classique aussi bien qu'en prose.

J’écris en prose moi-même, sans pour autant délaisser la rime. Je me critique autant que je critique la poésie moderne, cela me permet d’avoir l’air honnête. Que voulez-vous…

Cela dit, je pense que dans tous les cas, avec la rime ou la prose, la poésie est toujours mieux servie par une solide connaissance des règles de base de la communication.

Les meilleurs écrivains ne sont pas nécessairement les plus inspirés. Les plus grands poètes sont ceux qui savent le mieux transmettre leurs messages. On aura beau avoir subi tous les malheurs du monde, si notre art se limite à des onomatopées et des pseudo-haïkus de paresseux, ça ne fera pas long feu dans le temps. N'est pas Lao Tseu qui veut. La poésie ne s’imagine pas comme les supposés habits neufs de l’empereur du conte de Andersen. Elle est là du premier coup d’œil ou c’est de la frime.

L'écriture, je ne veux pas décevoir les paresseux, est une technique. Elle suppose une connaissance approfondie des règles fondamentales de la grammaire et de la syntaxe. Et la littérature tire sa perfection de l'absence de littérature, comme pour le dessin, où la pureté du trait l'emporte sur les gribouillis d'une main trop nerveuse. Et la poésie, voyez-vous, c'est de la littérature...

Comme l’écrivait Marcel Proust, «il se pourrait que certains chefs-d’œuvre aient été écrits en baillant». Cela me semble sensé. On peut écrire un chef-d'oeuvre en baillant, si l'on est un génie, un vrai poète, un vrai romancier. Mais le génie est l'exception. Tous ceux qui l'imitent ne sont généralement que des ploucs qui voient dans la poésie la concrétisation de leurs voeux de paresse, et non pas la découverte d'une nouvelle manière de chanter le monde.

C’est l’une des deux ou trois phrases que j’ai retenues d’«À la recherche du temps perdu», des milliers de pages lues dans le cadre d’un séminaire de littérature à l’université. Vous voyez bien que la prose n’est pas autant poétique que l’on voudrait nous le faire croire…

LA POÉSIE QUÉBÉCOISE

La poésie québécoise? Hum… Je ne veux pas faire de peine à personne. Je n’en parlerai donc pas. Il est noble de ne pas vexer l’étudiant dans la composition de ses premiers poèmes. Bien sûr qu’ils sont insignifiants, dénués de vie, d’authenticité et surtout de talent. Mais il faut encourager la jeunesse à écrire de telles niaiseries dans la vie, seulement pour qu’elle apprenne à considérer les arts comme une forme d’oxygène mental, que le talent soit de la partie ou non.

LE LATIN, LE GREC ET LA BOULOCRISTALLOMANCIE

Je discutais avec un de mes amis, hier, un vieux motard dans la cinquantaine. Il me rappelait que, du temps de ses études, les curés lui enseignaient le latin et le grec. Il prétend, à juste titre, que le latin et le grec l’ont beaucoup aidé à développer sa connaissance du vocabulaire. Les mots jusqu’alors inconnus et les néologismes trouvent plus facilement un sens si l’on connait les racines grecques et latines du français.

«Tiens, m’a dit mon ami motard, quand j’étais jeune j’ai créé un nouveau mot et mon professeur de latin m’a félicité.

-Et quel était ce mot?

-La tireuse de cartes, on appelle ça cartomancienne, hein?

-Oui.

-Eh bien, lire dans une boule de cristal, comment on appelle ça?

-Je ne sais pas.

-La boulocristallomancie.

-La boulocristallomancie?

-Oui, la boulocristallomancie…»

Ne cherchez pas ce mot, il n’est pas encore dans le dictionnaire. Je doute qu’il apparaisse. J’imagine qu’il existe un autre mot pour ça et il est encore trop tôt pour que j’ouvre un dictionnaire, même en ligne.

Le fait est que pour former un nouveau mot, on doit d’abord s’assurer d’assembler du latin avec du latin et du grec avec du grec, bien qu’il existe des mots hybrides (ex. : polyvalent, automobile, germanophobe) qui soient composés sans tenir compte de cette règle, mots qui font partie de l’apprentissage des difficultés de la langue française, où les erreurs finissent parfois par être acceptées, sans pour autant chercher à en commettre de nouvelles.

Pour le savoir, vous pouvez toujours vous en remettre au savoir de la boulocristallomancienne, un mot hybride formé d’une racine inconnue, boule (ça doit être du français, non?) et de deux racines grecques, cristal (cristal!) et mancie (divination).



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