vendredi 12 février 2021

Le petit chapeau de paille de Nina / un récit de Jean-François Lapoche


Jean-François Lapoche est l'auteur de 32 livres portant sur l'indépendance du Québec ou bien le badminton québécois. Toute sa vie a été consacrée au Québec. Il est Québécois depuis toujours et compte le rester. Il anime sur les ondes de CKQW 78,1 FM l'émission Franc-Parler. Il tient une chronique régulière au Journal de Saint-Bédard. Il enseigne le badminton à la polyvalente Julien-Bédard de Saint-Bédard. C'est un libre-penseur québécois qui croit que le Québec est le Québec et que les Québécois sont québécois autant que le sirop d'érable et les fèves au lard. Jean-François Lapoche présente ici, pour la revue littéraire
Mollusques, un texte de très grande valeur qui nous rapproche de l'autre sans pour autant renier notre quintessence essentiellement québécoise.


***

Le petit chapeau de paille de Nina

Nina n'est pas d'ici. Elle est pourtant née ici. Mais les gens d'ici n'arrêtent pas de lui dire, plus ou moins subtilement, de retourner dans son pays. Si elle ne choquait pas autant, cela n'arriverait jamais.

Serait-elle née ailleurs que cela n'y changerait rien. La Terre n'appartient à personne qu'elle nous répète ad nauseam. «Arrêtez de faire chier les chevreuils et les humains avec les clôtures de fils barbelés!» Ina aurait très bien pu dire quelque chose comme ça. À force de se sentir à part, pour ne pas dire faussement ostracisée, elle avait développée une pensée marginale et dangereuse pour la patrie en danger. Quand les frontières tombent, il ne reste plus que les Huns et autres hordes sauvages pour mettre fin à la civilisation.

Il y a des gens trop sensibles comme ça. Ils sont incapables de laisser les injustices à leur place en attendant que ça passe. Il leur faut agir ou, pire encore, militer. Et laissez-moi vous dire qu'ils militent n'importe comment, sans ordre, sans discipline, en ne respectant d'ailleurs aucune tradition digne de ce nom. Ils se permettent n'importe quoi n'importe comment n'importe quand. 

Quand on veut changer les choses, on reste chez-soi et on ne fait rien. Tout le monde fait ça. Sauf les chicaniers et les teigneuses. Ina tenait sûrement des deux. Et il n'y a pas d'excuses pour ça. Il y a des limites à jalouser les gens qui sont au pouvoir et nous dirigent. Vous n'imaginez même pas le stress qu'ils doivent vivre que déjà vous montez sur vos grands chevaux pour réclamer leur destitution ou que sais-je encore. Foin de ces excentricités militantes! Chacun à sa place et les vaches seront bien sacrées!

Évidemment, il serait grossier de démolir Ina avant même que de savoir qui elle est. Je sais bien que c'est la coutume parmi les miens d'agir ainsi. Mais bon, il faut parfois savoir se plier à la modernité.

Ina a le teint très foncé. Elle est née ici. D'accord. Mais ses traits rappellent ceux de Tracy Chapman qui est pourtant née aux États-Unis elle aussi et donc ici en quelque sorte... Quant à moi: aucun problème. Tu peux être née ici avec un teint foncé. Ce n'est pas très grave. Il faut seulement ne pas jalouser les Québécois qui occupent tous les postes, tous les journaux, tous les micros. Ils ont le droit d'être chez-eux et de dire à des gens comme Ina qu'ils exagèrent avec leur racisme systémique, leur profilage racial et leurs mots à proscrire du vocabulaire par excès de sensibilité. Moi-même j'appelle les pauvres manants et aucun pauvre ne me le reproche au supermarché. Moi et mes collègues avons le sens de l'humour. Nous rions allègrement des édentés et autres laids en tous genres non-conformes à la nature naturelle des choses... Vous croyez que l'humour c'est un slogan? Palsembleu! Non!!!

Alors voilà. Ina n'a qu'à s'y faire mais non il faut toujours qu'elle trouve des poux là où il n'y en a pas.

Est-ce que je suis malheureux, moi, dans ma vie? Non, bien entendu. Je rayonne le bonheur. Je suis estimé de tous et de toutes. Comment voulez-vous que j'aie tort sinon par pure mesquinerie, voire infâmante jalousie! Ina ne comprend pas ça.

Ina me va à peu près aux épaules.

Elle doit avoir vingt ans je suppose. 

Comment le savoir? On dirait qu'ils ne vieillissent jamais les Étrangers, même quand ils sont nés ici.

Je vous parle d'elle parce qu'elle porte un beau petit chapeau de paille.

Je devais initialement ne vous parler que de son petit chapeau de paille. 

Puis, subitement, la passion pour ma nation en danger m'a reprise. 

Je ne me suis pas laisser embrouiller l'esprit par cette ensorceleuse qui tentait vainement de me ridiculiser, comme si des gens comme moi n'avaient pas toutes les raisons du monde de leur bord. Je la prenais en pitié, cette petite femme au teint foncé qui hurlait que j'étais un ceci ou un cela. Je pense même qu'elle a dit que j'étais un fasciste, imaginez!!!

Franchement, j'ai laissé tomber le petit chapeau de paille de Ina qui n'en vaut pas la peine. Et j'ai brandi fièrement mon fleurdelisé. Ouste petite dérangée! Tu retardes notre pays!

Quand tu craches ainsi sur le Québec et ses meilleurs représentants, tu mérites d'être tenu longtemps à l'écart. 

On devrait d'ailleurs laver nos écoles de toute cette racaille anti-québécoise et socialiste qui y pullulent. 

Bientôt, on ne pourra plus vivre notre culture québécoise entre Québécois et c'est le Québec tout entier qui va en pâtir, même les domestiques, quelle que soit la couleur de leur peau. D'ailleurs, on voit bien que même les domestiques ne veulent plus obéir. On s'en va vraiment nulle part. Jalousie quand tu nous tiens...

Alors franchement, je vous parlerai une autre fois du petit chapeau de paille de Ina.

Elle m'a vexé. Je refuse d'être réduit à une caricature de vieux mononcle gâteux des années '50 ma péronnelle! Tu vas voir de quel bois que je me chauffe, toi et tes satanés gauchistes décadents au teint pâle ou foncé!


@ Droits d'auteurs réservés. / Jean-François Lapoche. 12 février 2012


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