Francis parcourait la contrée avec son masque en forme de tête de corbeau. Ce masque, à la lumière des connaissances actuelles de la médecine, le protégeait un tant soit peu des miasmes de la peste. Auquel masque s'ajoutait aussi la longue jaquette noire et les gants. Francis ne prenait plus trop de chance. Il avait vu mourir tant d'amis, tant de collègues. Du bon monde qui croyait que la vie valait la peine d'être sauvée. Du bon monde qui ne croyait pas tant à la fin du monde. Ils et elles servaient Dieu en servant les plus humbles, malades, lépreux, pestiférés.
Ce jour-là, Francis n'avait rien pu faire pour Jean-Jean.
Il se souvenait de ses sarcasmes à propos de son masque, de «ses» miasmes, de son accoutrement ridicule.
-Pourquoi qu'tu t'déguises en corbeau maître la fifille? Tu penses que cela va t'protéger d'la colère de Dieu, connard?
Cela ne le protégeait pas de la colère de Dieu. Mais ça le protégeait tout de même un peu de la peste bubonique.
Le gros Jean-Jean l'avait attrapée lui aussi. Il râlait et crachait du sang. C'était fini pour Jean-Jean et ses jacqueries.
-Tiens... c'est... Maître Corbeau... dit-il en exhalant son dernier souffle.
-C'est trop tard pour lui, dut annoncer Francis à la veuve de Jean-Jean.
-Qu'allons-nous devenir mon Dieu? Bouhouhou... pleura-t-elle.
-Faites aérer la pièce. Nous allons sortir le corps. Personne ne doit toucher à tout ce que Jean-Jean aurait pu toucher... Nous brûlerons aussi sa paillasse... Faites un feu pour tuer les miasmes... Je vais prier pour vous Madame Jean-Jean...
Francis sortit de chez Jean-Jean tandis que les fossoyeurs peinaient à embarquer son corps dans le charriot.
Il n'y avait personne dehors. Tout le monde s'enfermait de crainte d'attraper le mal divin.
Encore quelques jours et la fumée aurait balayée cette saleté qui vit dans l'air.
En attendant, il s'agissait pour Francis et ses collègues de ne pas mourir pour continuer de sauver des vies. Au moins celles qui n'étaient pas encore contaminées...
-J'ai hâte que la vie normale reprenne son cours, songea Francis en marchant dans la campagne déserte avec son bâton et sa dague.
C'était au cas où il rencontrerait des voleurs. Même en temps de peste ces diables ne chôment pas.
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