Mon père aimait discuter autant de politique que de hockey. Il avait des opinions tranchées dans un cas comme dans l'autre. Et il ne faisait pas que discuter. Il s'engageait pleinement dans le processus démocratique, tant à titre de militant que de travailleur d'élections. C'était fondamentalement un Rouge, comme on les appelait dans l'ancien temps. Un Rouge difficile à caser. Il s'enflammait lorsqu'il parlait de hockey ou de politique et devenait rapidement rouge de colère. Son barbier aimait le faire sortir de ses gonds. Il ne fallait que vanter un tant soit peu les Bleus, l'Union Nationale ou les Conservateurs pour que mon père se mette à agiter les bras comme un possédé.
-Hostie d'Bleus d'tabarnak de crosseurs pleins d'marde de calice de saint-sacrament de ciboire de voleurs de christ de pourris sales!
Ses litanies étaient semblables pour les partisans des Nordiques. Il prenait résolument le parti des Canadiens de Montréal. Les partisans de Québec étaient des mal élevés qui ne comprenaient rien à la noblesse de notre sport national. Ça n'en prenait pas plus pour lui faire croire qu'ils étaient sûrement des Bleus.
Bien qu'il ait été un Rouge, mon père a tout de même suivi René Lévesque au Parti Québécois, avec beaucoup de réserves pour la migration des Bleus vers ce parti. Il était devenu péquiste parce que René Lévesque était tout de même un Rouge.
Toute sa vie, mon pauvre père fut manipulé par les politiciens qui sollicitaient son soutien. Comme c'était un bon homme, marguillier de la paroisse et responsable de la Société Saint-Vincent-de-Paul, il pouvait servir de caution morale à tous les crosseurs aspirant à la ponction publique.
Ses idéaux auront été trahis plus souvent qu'autrement. La foi qu'il aura porté dans le changement aura fini par le rendre de plus en plus amer envers la politique, en laquelle il continua pourtant de croire par habitude ou bien par jeu. Le monde n'était pas parfait. Il lui fallait sans doute savoir composer avec des ordures...
Ma mère, quant à elle, était anarchiste sans le savoir.
Pour elle, tous les politiciens étaient des pourris.
-I' t'disent qu'i' vont toutte te donner avant les élections pis après i' viennent toutte te prendre dans 'es poches comme tous 'es autres!
Ma mère ne voulait pas aller voter. Elle trouvait que c'était une perte de temps.
Mon père n'arrêtait pas de la sermonner pour qu'elle aille glisser son bulletin dans l'urne.
-C'est un devoir de citoyen! Si tu vas pas voter, quelqu'un pourrait voler ton vote pis voter à ta place!
-Ah! On va s'faire voler pareil après! Rouge, Bleu, Mauve: c'est du pareil au même! On finit tout l'temps avec moins d'argent dans nos poches!
Ma mère finissait par aller voter pour n'importe qui, n'importe quoi et n'importe comment. Elle écrivait des X partout, glissait des bulletins vides ou bien votait pour la p'tite Tellier, celle qu'elle connaissait parce qu'elle avait travaillé avec sa mère à la Wabasso.
-T'as pas voter pour la Tellier, Jeannine! La Tellier!!! s'indignait alors mon père.
-Pourquoi pas? J'connais sa mère... Ça vient d'la P'tite Pologne les Tellier...
-Sacrament Jeannine! La Tellier s'présente pour les marxistes-léninistes! T'as voté pour les communistes! Pour ceux qui crèyent pas à Dieu!!!
-Hein? J'ai voté pour les communiches?!?
-Oui! Les maudits qui voudraient vivre à Cuba ou en Chine!!!
-Je l'savais pas moé! Marchistes-tétinistes j'sais pas c'que c'est moé! Sont toutte là à nous mêler avec leu' maudites niaiseries!
Ma mère ne comprenait donc rien à la politique. Elle ne savait pas distinguer un programme de gauche d'un programme de droite. Elle voulait seulement qu'on lui foute patience et qu'on arrête de lui faire les beaux yeux pour mieux la voler ensuite.
Bref, c'était une anarchiste qui s'ignorait.
***
J'ai commencé à m'intéresser à la politique lors du référendum de 1980. J'avais douze ans. Je me promenais avec une bombe de peinture noire en aérosol et faisais des graffitis partout sur les murs. Je traçais des OUI!, des fleurs de lys, des Vive le Québec libre!
Plus tard, je me suis mis à tracer des marteaux et des faucilles, des Indépendance et socialisme, des Vive la révolution!
Puis j'ai étudié à la faculté de droit de l'Université Laval qui aurait dû me rendre raisonnable. Mais non! Mes études en droit m'auront encore plus radicalisé. J'ai d'ailleurs dû les abandonner parce que je n'avais plus un rond. Et comme je n'avais plus un kopeck j'ai dû travailler. Je suis devenu préposé aux bénéficiaires au Centre hospitalier de l'université Laval pour gagner ma vie.
Un jour que je m'achetais des revues chez un marchand de journaux de la rue Saint-Jean, dans le Vieux-Québec, je suis tombé sur Combat socialiste. C'était une revue trotskiste. Et, ça tombait bien, puisqu'il y avait une cellule trotskiste à Québec avec laquelle je pris contact. Je venais tout juste de lire L'histoire de la révolution russe de Léon Trotski et me suis dit que la révolution nécessitait des gens déterminés à la faire. Comme l'étaient les camarades de Gauche Socialiste, section sympathisante de la Quatrième Internationale dans l'État canadien...
J'ai donc milité pour les trotskistes. Puis je pris mes distances au bout de deux ans. Plus je lisais sur la révolution russe et plus je remettais en question le bolchevisme. Trotski aurait fait comme Staline. Il y avait un élément franchement totalitaire dans le marxisme. J'ai donc fait un pas de côté et me suis retrouvé militant d'un groupuscule anarchiste qui fonctionnait lui aussi comme une secte maoïste. On imprimait des tracts sur une presse clandestine. Des tracts dont le contenu était décidé en haut lieu. J'aurais dû me contenter de les distribuer tout en prenant mon trou. Le socialisme libertaire était trop bien organisé à mon goût...
Au bout du compte, j'ai cessé de militer tout court pour un groupe, sans pour autant abandonner les pétitions, les pancartes et l'activisme révolutionnaire. L'art est revenu hanter ma vie. La poésie, la musique et le dessin auraient raison de ce monde inique. La révolution se devait aussi d'être métaphysique. Plus question que je me soumette à un comité.
Je serai passé par toutes sortes d'étapes tortueuses au fil des ans. Tant et si bien que je ne peux avoir que l'humilité d'admettre que je me suis souvent trompé. J'aurai aussi été victime de ma propre naïveté.
J'eus un choc en 2012. Le Printemps Érable est venu bouleverser mes conceptions du monde. Je suis revenu à mes idéaux de jeunesse que j'avais abandonné en cours de route par une forme de lassitude et de résignation bien involontaire. Le Printemps Érable m'a redonné espoir. Il m'a prouvé qu'il était possible de rêver d'un mouvement d'hommes et de femmes libres, sans chefs.
Les étudiants grévistes m'ont aussi mis sous le nez des données, des réflexions et des analyses que j'avais évacuées de ma tête. J'ai compris, mieux vaut tard que jamais, que j'avais eu raison de me révolter même si l'époque n'avait jamais tourné pour moi. J'ai donc repris la rue. J'ai défié la loi spéciale. J'ai défié le capitalisme. J'ai défié la mafia. Si une jeune fille de quinze ans pouvait le faire devant des flics, en se faisant menacer de se faire fendre le crâne, c'était bien la moindre des choses qu'un vieux con dans la quarantaine ne cautionne pas l'injustice et encore moins l'idée de faire couler le sang du peuple dans la rue pour protéger les intérêts des crapules capitalistes. J'ai donc arboré le carré rouge.
Aujourd'hui, vrai comme je suis là, je me rends compte que je tiens plus de ma mère que de mon père pour la chose politique.
Je ne crois plus rien de ce qu'on devrait croire. Le devoir du citoyen et toutes les belles paroles sur les élections ne me touchent plus. Les dés sont pipés d'avance. On peut bien tenter d'y jouer si l'on aime perdre à tout coup. Je me dis que la politique doit se vivre aussi en-dehors des urnes. Le peuple doit pouvoir décider tous les jours, et pas seulement une fois aux quatre ans. Parce que nous sommes en 2016. Parce qu'on en sait plus long que jamais sur les stratagèmes des fossoyeurs de la démocratie, ces politiciens de métier au service des corporations qui se jouent de tous les peuples du monde.
Je reprendrai donc la rue avec mes pancartes un jour ou l'autre, comme d'habitude. Et fuck le capitalisme. Fuck les banquiers. Fuck les médias traditionnels. Fuck les politiciens de métier. Fuck les institutions. Fuck toutte.
Ce sera ma façon de faire de la politique.
La seule que je connaisse et que je respecte.
M^me si les partis politiques sont presque tous désespérants il ne faut jamais désespérer ni arrêter de se battre comme on peut -
RépondreEffacerLa politique c ' est l ' organisation de la vie ensemble où tous et toutes ont l ' épanouissement , le bien-être et la culture -
Je n ' ai jamais baissé les bras et à soixante-deux ans j ' y crois + que jamais .
Et m^me si tout ce qu ' on fait de manière individuelle pour son propre bonheur personnel est importantissime aussi , personne ne m ' enlèvera que le bonheur de l ' autre est aussi important et pour lequel je continuerai toujours de me battre .
Ma femme qui est totallement d ' accord sur la vilénie des riches , elle qui est née dans une famille très pauvre , ne comprend pas ( un peu comme ta mère ? ) ma passion ( je suis toujours passionné ) pour tout ça . Elle n ' y croit pas . Pourtant tant de combats de nos aînés.es ont porté leurs fruits .
Il nous suffit de continuer . Tant de nos frères et soeurs se battent actuellement dans le bon sens .
Amicalement -
@Monde indien: La lutte ne se passe pas qu'au niveau des urnes, heureusement. Elle se passe dans notre vie de tous les jours. Dans notre manière de refuser l'injustice, l'autoritarisme, le racisme, le sexisme, la pollution et j'en passe...
RépondreEffacer@Gaétan Bouchard
RépondreEffacerLe vote est une illusion dont il faudra se défaire -
Dans une communauté tout le monde n ' a pas les m^mes intérêts - Pourtant il faut que tous soient satisfaits , à peu près - à moins qu ' ils ne soient foncièrement néfastes aux intérêts des autres - ( par intérêts j ' entends , sujets d ' intérêts , d ' épanouissement - pas intérêts financiers ) .
Peu importe le vote ou pas - Le but est l ' épanouissement de tous et toutes -
Tu as raison de dire que ça se passe dans notre vie de tous les jours aussi - bien sûr -
@Monde indien: L'important, c'est ce qui ne se compte pas: l'amour, l'amitié, la nature, la musique...
RépondreEffacer@ Gaétan - Tu as raison -
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