lundi 15 août 2016

Un sujet léger

Il convient d'écrire sur des sujets légers quand il fait chaud et que l'on s'habille légèrement. Ce n'est pas la canicule aujourd'hui, mais ce n'en est pas moins chaud pour autant.

À tous les jours que le bon vent amène vient toujours un temps où il me faut réfléchir à mon billet du jour. Je pourrais, évidemment, penser à autre chose. Voire passer à autre chose. Cependant, votre gentillesse m'oblige à continuer, chers lecteurs et lectrices. Vous pourriez interpréter mon silence comme une trahison. Pour les plus méchants d'entre vous, votre mépris envers ma personne serait irrémédiablement compromis et menacé par l'indifférence.

Toutes ses calembredaines me mènent tout droit à mon sujet léger.

Et ça tombe bien, puisque je dois vous parler de Pierre Léger. Pas le Pierrot Léger qui avait une corne de rhinocéros tatouée dans le front. Pas ce feu Pierrot Léger, alias le fou, un poète de Montréal  qu'on avait le malheur de trouver parfois dans les toilettes des bars aux petites heures du matin avec de la poésie plantée dans le bras.

Paix à son âme s'il me lit de là où il se trouve. Ce n'est pas de ce Pierre Léger qu'il est question ici. Mais de son homonyme, Pierre Léger, un gars dans la trentaine qui, par un curieux hasard, ne porte pas de nom composé comme la plupart des gens de sa génération.

Il aurait dû s'appeler Pierre Léger-Brûlotte si sa mère, Régine Brûlotte, avait été à la mode de chez-nous. Mais non, Régine était démodée. La mode ne rentrait pas dans son village de la Haute-Mauricie. Alors Pierre Léger s'était donc tout simplement appelé Pierre Léger. Pour ne pas dire Joseph-Alexandre-Pierre Léger comme on peut le lire sur son certificat de naissance. Ce qui prouve qu'en plus d'être démodée, Régine Brûlotte était catholique.

Quant à son père, Pierre Léger sénior, premier de ce nom, il s'était perdu un jour en allant acheter une pinte de lait et n'était plus jamais revenu. Ce qui fait que Pierre Léger junior avait surtout grandi dans des familles d'accueil. Régine Brûlotte n'avait pas la fibre maternelle en plus d'être morte très jeune. Pour tout dire, Pierre Léger s'était élevé lui-même, ce qui n'est pas très léger comme sujet j'en conviens.

Or, Pierre Léger a beaucoup consommé de drogues au cours de sa vie pour trouver un sens à sa vie qui semblait bien ne pas en avoir. D'autres n'en auraient pas fait tout un plat. Des tas de gens vivent sans raisons de vivre et ne se droguent pas tous les jours. J'en connais même un qui sort son chien tous les matins et traîne même un sac de plastique pour ramasser les petites crottes de son cabot. Comme quoi les raisons de vivre ou pas ne devraient jamais intervenir dans les questions d'ordre public ou d'hygiène personnelle. Tous les bourgeois le savent et les riches engagent des animateurs de radio tout aussi rapaces pour vous rentrer cette leçon dans le crâne.

Évidemment, nous sommes tous différents. Pierre Léger assumait cette différence avec de la drogue, beaucoup de drogues, tout ce qui lui tombait sous le nez. Il allait même jusqu'à faire la tournée des toilettes dans l'espoir d'y trouver des bouts de joint ou bien des sacs de poudre oubliés par les hédonistes qui s'adonnent à en renifler pour ensuite constater qu'ils ne bandent plus.

Il ne travaillait pas, Pierre Léger. Et pourtant, il n'avait pas de corne de rhinocéros tatouée dans le front. C'est à peine s'il s'était fait tatouer une larme au coin de l'oeil lors de son dernier séjour en prison. Signe qu'il avait sans doute servi de mignon pour quelque brute sans âme pendant son incarcération.

Cela dit, Pierre Léger passe souvent devant chez-moi. Et c'est là que ça devient intéressant. Enfin! intéressant pour moi. C'est ainsi que je l'ai connu. Enfin! Pas tout à fait. J'ai fini par savoir que c'était le même que celui que je croisais au dépanneur de la rue Royale où je vais parfois m'approvisionner en breuvages diète. Ce même Pierre Léger que je vois aussi au Parc Victoria.

Pierre Léger vient de La Tuque. Il est passablement édenté. Il a une allure de punk qui n'a pas demandé à le devenir. Il porte des pantalons élimés, des bottes trouées ainsi qu'un sac à dos sur lequel est imprimé une énigmatique peau de guépard tachetée.

Au fil de nos rencontres très courtes, j'ai fini par connaître sa vie. Autrement, je ne vous en parlerais même pas. Il y a des limites à inventer n'importe quoi.

Il n'est pas tout à fait sans ressources, Pierre Léger, puisqu'il roule sur un vieux vélo qui grince.

Il roule devant chez-moi vers quatre ou cinq heures tous les matins.

Je sais que c'est lui dès que je vois son sac à dos en simili-peau de guépard.

Je sais que c'est lui lorsque je l'entends crier à tue-tête après un interlocuteur imaginaire.

Il ne peut être qu'imaginaire puisque ce qu'il lui dit n'a jamais ni queue ni tête.

Pierre Léger fait semblant de lui parler en anglais, comme s'il avait un bluetooth.

-Well, well, my frennde you're flail di lail da de floungui way so schnapps eu fiveure o'clock dène you holy fuck djizz swell and chic because fire fire all time the god save plasteur windshield and cats and dogs...

Pierre Léger débite des incongruités au beau milieu de la rue, sur son vélo, réveillant sur son passage tous les citadins qui ont le malheur de dormir les fenêtres ouvertes l'été. Dont moi qui, fort heureusement, est souvent réveillé à cette heure-là.

C'est à peu près tout ce que je sais à propos de Pierre Léger après avoir saisi quelques bribes de sa vie au dépanneur et au Parc Victoria où je le croise souvent et lui parle comme s'il était plus important que Philippe Couillard, ce serviteur de l'Arabie Saoudite.


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