mardi 9 août 2016

Ma rencontre avec Chartrand le jour où Trudeau est mort

Michel Chartrand au journal de rue
Le Vagabond (Trois-Rivières) le 28 septembre 2000
J'ai eu l'honneur de rencontrer Michel Chartrand le 28 septembre de l'an 2000. Je me rappelle facilement la date puisque ce jour-là nous apprîmes le décès de Pierre Elliott-Trudeau, un ancien camarade de combat de Michel Chartrand qui, comme Jean Marchand et tant d'autres, se seront détournés des travailleurs pour servir les capitalistes.

J'étais un organisateur communautaire à l'époque et ma mission consistait à mettre sur pied le journal de rue Le Vagabond. Une équipe de valeureux crève-la-faim m'accompagnait pour mener ce projet à terme avec les maigres moyens du bord.

Michel Chartrand faisait alors la tournée du Québec pour soutenir la cause du revenu de citoyenneté. Je me suis dit que le premier numéro du Vagabond ferait belle figure avec cette icône du mouvement social québécois. Il nous fallait une entrevue avec Michel Chartrand et rien de moins que cet honnête combattant socialiste en page frontispice de notre premier numéro.

J'ai obtenu son numéro de téléphone via l'association étudiante du Cégep de Trois-Rivières où il s'en irait défendre le revenu de citoyenneté. Puis je l'ai appelé.

-Bonjour, j'aimerais parler à Monsieur Michel Chartrand s'il-vous-plaît...

-Lui-même... Qu'est-ce que j'peux faire pour toé mon frère?

Je lui ai expliqué notre projet. Il ne m'a pas dit je vais y penser, je pourrais vous donner ma réponse demain, je vais consulter mon agenda... Chartrand n'était pas un hostie de faux-cul comme tant d'autres. 

-Pas de problème mon frère. Je vais aller vous voir après ma conférence au Cégep de Trois-Rivières...

-Merci camarade, ai-je répliqué avec émotion.

Pour tout dire, j'allais rencontrer l'idole de ma jeunesse, un modèle d'humanisme chrétien et de socialisme qui faisait tant défaut aux larbins de ma génération X. Ce Michel Chartrand qu'admirait tant mon père. Le seul syndicaliste qui trouvait grâce à ses yeux. Comme si tous les autres n'étaient que des bretteurs, des fonctionnaires, voire des incapables. Pour ne pas dire des hosties de profiteurs. Des mangeux d'marde. Des baise-la-piastre. Des opportunistes qui nuisent à l'action syndicale et aux luttes sociales.

-Avec Chartrand, c'est pas le patron, le politicien, le juge... me disait mon père. Avec Chartrand, c'est l'hostie de boss, le christ de député corrompu, le tabarnak de juge vendu à 'a mafia libérale...

Je ne fus pas déçu. Chartrand était pareil en privé comme en public. C'était un modèle d'indignation et de colère du juste. Pas de toc chez-lui. Aucune frime. Un diamant brut de justice sociale.

Je l'ai donc rencontré au Cégep puis on l'a ramené au local du journal de rue Le Vagabond qui, ce jour-là, était plein à craquer.

Chartrand attirait encore les foules comme une rockstar malgré son âge vénérable.

Il n'avait pas de temps à perdre avec ce qu'il appelait le human interest. Pas le temps de parler de ses petits bobos, de son plat préféré, de la fois où il a fait ceci ou cela. Il est tout de suite passé à l'essentiel, au revenu de citoyenneté, en y allant d'un rappel historique des luttes menées par les ouvriers depuis la révolution industrielle en Angleterre.

-Le capitalisme est immoral, asocial et apatride! lança-t-il pour la millionième fois de sa vie.

Puis il enchaîna sur les raisons de faire profiter le peuple de nos richesses naturelles accaparées par une poignée de requins sans scrupules qui prétendent enrichir tout le monde en se graissant eux-mêmes.

Dans les faits, le fossé entre les riches et les pauvres s'élargit. La terre sous nos pieds ne nous appartient plus. Nous ne sommes plus maîtres chez-nous. Mais simplement locataires et déplaçables en tous temps comme on l'a fait avec les Indiens et le faisons encore avec les Palestiniens et bientôt les Québécois.

Je ne vous raconterai pas tout son discours. Vous le trouverez peut-être sur YouTube puisqu'il enfonçait toujours le même clou. On pourrait croire à tort qu'il faisait un spectacle. Chartrand était en mission. En mission pour que ses frères et soeurs humains obtiennent justice.

-C'est bien beau philosopher, tabarnak, mais il vient un temps où il faut s'battre et passer à l'action pour ne pas s'faire écraser par des pourris sans coeur et sans âme! qu'il nous a dit, entre autres.

-Les travailleurs n'ont pas besoin d'avoir lu Le Capital de Karl Marx pour comprendre qu'i' s'font fourrer tabarnak! ajouta-t-il.

C'était beau à voir et bon à entendre.

Un vieux monsieur de quatre-vingts ans dépassés nous parlait avec la verdeur d'un jeune homme.

***

Récemment, j'ai visionné à nouveau la télésérie Chartrand et Simonne. On en vient rapidement à la conclusion qu'il manque d'hommes et de femmes de cette trempe de nos jours.

Le cimetière est bien sûr rempli de personnes que l'on croyait irremplaçables.

Pourtant, il s'est fait un grand vide autour de nous.

Des géants comme Michel Chartrand, Simonne Monet ou Pierre Falardeau disparaissent et on sent qu'il manque quelque chose.

On entend les sophismes des politiciens de métier et on se sent l'envie de les traiter de charognes, de fumiers, de crosseurs corrompus.

C'est ce que je fais chez-moi, je l'avoue. Et c'est ce que je faisais derrière un micro. Et ce que je ferai encore devant mon clavier tout autant que pendant les manifestations. Je vais marcher dans les pas de mon père comme dans ceux de Michel Chartrand, promis.

C'est ma manière de poursuivre humblement l'oeuvre de ces grandes gueules qui se sont tues.

Peut-être qu'il y a trop de propos posés et de paroles feutrées de nos jours.

Peut-être qu'il y a trop de compromissions.

Peut-être qu'on se fait baiser le cul comme des hosties de sans-dessein par le capitalisme.

Peut-être que le mode survie nous a fait oublier qu'on pourrait retrouver au moins notre dignité en mode révolte, en mode désobéissance civile.

Heureusement que j'aurai vécu le Printemps Érable en 2012, la seule fois où j'ai eu l'impression que mon peuple retrouvait ses rêves perdus, sa liberté et sa dignité. La seule fois où mon peuple a pris vaguement conscience que rien ne pouvait nous mettre à genoux, ni les lois spéciales ni les matraques.

D'autres printemps viendront, j'en suis sûr.

Et, aussi stupide que cela puisse sembler, nous vaincrons.

Ce n'est plus un début.


Michel Chartrand au journal de rue 
Le Vagabond (Trois-Rivières) le 28 septembre 2000


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