Justin
Laramée est un homme qui se croit intelligent et entend le paraître autant que
faire se peut pour éviter tout soupçon d’ignorance. C’est un travail de tous
les instants qui nécessite souvent de piler sur son instinct. Il lui faut lire
des livres que personne n’aime lire et regarder des films qui laissent tout le
monde indifférent.
-La captive
du désert! Quelle oeuvre admirable! dit-il du film de Raymond Depardon. Sandrine
Bonnaire y est sublime. Le film débute sur un long plan fixe d’une caravane de
chameaux qui traverse le désert… On sent le désert. On le goûte. On le déguste!
Ce film est franchement
nul à chier et il est probable que Justin Laramée le sache en son for
intérieur. Par contre, tous les intellectuels de sa clique ont décrété que ce
film est la quintessence du septième art, ce qui rend impossible toute forme de
critique primaire.
-Enfin! C’est
tout de même Sandrine Bonnaire! Et Depardon, quel œil!!!
Justin
Laramée visionne en cachette des films hollywoodiens mais se prive de tout
commentaire à ce sujet. Il faut dire que n’importe quel ahuri peut trouver sans
efforts des failles dans les scénarios préfabriqués des cinéastes américains.
Leurs méga-productions sont souvent prévisibles du début jusqu’à la fin. Alors
que Depardon… Non.
On peut
imaginer un film français avec un personnage qui se décrotte le nez pendant trois
heures en lisant à voix haute La Nausée de Jean-Paul Sartre. On ne peut pas s’imaginer
trente minutes de cinéma américain sans un couple divorcé qui se reforme pour
se remarier devant un pasteur chauve.
Tout ce qui
précède devrait nous permettre de comprendre ce qui se trame dans la tête de
Justin Laramée, ce gaillard toujours plus sérieux qu’un pape qui aime ce que
personne n’aime et refuse tout ce qui est banal pour mieux correspondre aux
exigences de sa caste de petits-bourgeois malheureux.
***
René
Guimond, c’est tout le contraire de Justin Laramée. C’est un petit gros jovial
qui trouve toujours quelque chose de positif à dire sur de petits riens. Il
aime le chant des oiseaux, la brise qui souffle dans le feuillage des arbres,
les films avec Russell Crow, les disques de Plume Latraverse et même le cinéma
indépendant quand ce n’est pas trop soporifique.
-J’ai vu les
films de Xavier Dolan… C’est pas mauvais… C’est tourné comme des vidéo-clips.
On pourrait
dire à prime abord que René Guimond vit un bonheur factice.
Pourtant, on
le voit toujours main dans la main avec sa blonde. Ils se font des câlins, des
embrassades et des petites caresses qui rend malade Justin Laramée, qui habite
d’ailleurs devant le logement de René Guimond.
-Il vit un
amour tout à fait banal ce Guimond! Très américain! Les caresses, les
embrassades, la main dans la main… Pouah! Ça ne vaut pas ma relation avec
Mireille-Luce Lamirande, ma muse, qui peut avoir autant de copains qu’elle veut
et me permettre de rencontrer moi aussi toutes mes copines… Enfin! Celles qui
souhaitent encore me voir… Nous sommes un couple libre, ouvert et post-moderne…
Mais eux!!! Eux sont encore en 1950! De vrais traditionnalistes bébêtes qui
croient que l’amour est unique comme dans les productions hollywoodiennes!
-Justin… l’interrompt
Mireille-Luce, je ne sais plus si je préfère Jean-Michel à toi… J’aurais besoin
d’un répit… J’ai pensé qu’il pourrait vivre chez-nous pendant un mois… Nous
coucherions en haut, dans la chambre, et toi tu prendrais le divan… C’est très
important pour moi et ma croissance personnelle… J’ai besoin de me retrouver… J’ai
besoin de tout sauf de banalités…
-Heu… Bien
sûr ma très chère… Nous ne sommes pas des australopithèques… L’exclusivité c’est
pour les singes comme ce Guimond…
-Très bien
mon chou… J’appelle Jean-Michel tout de suite et il emménage ce soir pour un
mois…
***
Et, pendant
un mois, Jean-Michel et Mireille-Luce se mettent à fourrer à plein cul, ce qui
empêche Justin de dormir. Qu’à cela ne tienne! Il en profite pour réécouter La
captive du désert et relire Roland Barthes avec, parfois, une larme à l’œil qu’il
ne s’explique pas.
Pendant ce
temps, René Guimond et sa blonde, qui s’appelle Marie Lavoie, se font de petits
mamours sur le perron tout en se flattant mutuellement le bas des reins.
-Ils ne
doivent pas être heureux en face, prétend Guimond. Ils ont l’air tellement
coincés… Tout a toujours l’air bien trop compliqué pour eux… Tu leur dis que c’est
une belle journée, qu’il fait soleil et tout, et les voilà qui se mettent à
répondre qu’ils engagent rarement la conversation sur ce genre de lieux communs…
-Tu sais,
René, je n’aimerais pas être une intellectuelle… Ils ont l’air de vivre des
vies tellement fuckées… Plus ils vont à l’école et plus ça leur monte à la tête…
Ils finissent par ne plus apprécier les petites choses de la vie qui peuvent
vous rendre heureux… Tout devient un drame, une tragédie, un monologue
tristounet… Comment font-ils pour prendre toujours le chemin le plus long pour
se rendre nulle part?
-On ne peut
pas vivre leur vie à leur place… Et c’est pas moi qui perdrais son temps à lire
Roland Barthes…
-C’est qui
Roland Barthes?
-J’sais pas…
-Est-ce que
tu m’aimes mon loup?
-Tu sais
bien que je t’aime mon petit lapin bleu…
-Moi aussi
je t’aime grand fou…
-Tu es ma
tibidou bidoune!
-Hahaha!
-Hohoho!
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