lundi 11 janvier 2016

L'amour n'est pas pour les intellectuels désincarnés

Justin Laramée est un homme qui se croit intelligent et entend le paraître autant que faire se peut pour éviter tout soupçon d’ignorance. C’est un travail de tous les instants qui nécessite souvent de piler sur son instinct. Il lui faut lire des livres que personne n’aime lire et regarder des films qui laissent tout le monde indifférent. 

-La captive du désert! Quelle oeuvre admirable! dit-il du film de Raymond Depardon. Sandrine Bonnaire y est sublime. Le film débute sur un long plan fixe d’une caravane de chameaux qui traverse le désert… On sent le désert. On le goûte. On le déguste!

Ce film est franchement nul à chier et il est probable que Justin Laramée le sache en son for intérieur. Par contre, tous les intellectuels de sa clique ont décrété que ce film est la quintessence du septième art, ce qui rend impossible toute forme de critique primaire.

-Enfin! C’est tout de même Sandrine Bonnaire! Et Depardon, quel œil!!!

Justin Laramée visionne en cachette des films hollywoodiens mais se prive de tout commentaire à ce sujet. Il faut dire que n’importe quel ahuri peut trouver sans efforts des failles dans les scénarios préfabriqués des cinéastes américains. Leurs méga-productions sont souvent prévisibles du début jusqu’à la fin. Alors que Depardon… Non.

On peut imaginer un film français avec un personnage qui se décrotte le nez pendant trois heures en lisant à voix haute La Nausée de Jean-Paul Sartre. On ne peut pas s’imaginer trente minutes de cinéma américain sans un couple divorcé qui se reforme pour se remarier devant un pasteur chauve.

Tout ce qui précède devrait nous permettre de comprendre ce qui se trame dans la tête de Justin Laramée, ce gaillard toujours plus sérieux qu’un pape qui aime ce que personne n’aime et refuse tout ce qui est banal pour mieux correspondre aux exigences de sa caste de petits-bourgeois malheureux.

***
René Guimond, c’est tout le contraire de Justin Laramée. C’est un petit gros jovial qui trouve toujours quelque chose de positif à dire sur de petits riens. Il aime le chant des oiseaux, la brise qui souffle dans le feuillage des arbres, les films avec Russell Crow, les disques de Plume Latraverse et même le cinéma indépendant quand ce n’est pas trop soporifique.

-J’ai vu les films de Xavier Dolan… C’est pas mauvais… C’est tourné comme des vidéo-clips.

On pourrait dire à prime abord que René Guimond vit un bonheur factice.

Pourtant, on le voit toujours main dans la main avec sa blonde. Ils se font des câlins, des embrassades et des petites caresses qui rend malade Justin Laramée, qui habite d’ailleurs devant le logement de René Guimond.

-Il vit un amour tout à fait banal ce Guimond! Très américain! Les caresses, les embrassades, la main dans la main… Pouah! Ça ne vaut pas ma relation avec Mireille-Luce Lamirande, ma muse, qui peut avoir autant de copains qu’elle veut et me permettre de rencontrer moi aussi toutes mes copines… Enfin! Celles qui souhaitent encore me voir… Nous sommes un couple libre, ouvert et post-moderne… Mais eux!!! Eux sont encore en 1950! De vrais traditionnalistes bébêtes qui croient que l’amour est unique comme dans les productions hollywoodiennes!

-Justin… l’interrompt Mireille-Luce, je ne sais plus si je préfère Jean-Michel à toi… J’aurais besoin d’un répit… J’ai pensé qu’il pourrait vivre chez-nous pendant un mois… Nous coucherions en haut, dans la chambre, et toi tu prendrais le divan… C’est très important pour moi et ma croissance personnelle… J’ai besoin de me retrouver… J’ai besoin de tout sauf de banalités…

-Heu… Bien sûr ma très chère… Nous ne sommes pas des australopithèques… L’exclusivité c’est pour les singes comme ce Guimond…

-Très bien mon chou… J’appelle Jean-Michel tout de suite et il emménage ce soir pour un mois…

***

Et, pendant un mois, Jean-Michel et Mireille-Luce se mettent à fourrer à plein cul, ce qui empêche Justin de dormir. Qu’à cela ne tienne! Il en profite pour réécouter La captive du désert et relire Roland Barthes avec, parfois, une larme à l’œil qu’il ne s’explique pas.

Pendant ce temps, René Guimond et sa blonde, qui s’appelle Marie Lavoie, se font de petits mamours sur le perron tout en se flattant mutuellement le bas des reins.

-Ils ne doivent pas être heureux en face, prétend Guimond. Ils ont l’air tellement coincés… Tout a toujours l’air bien trop compliqué pour eux… Tu leur dis que c’est une belle journée, qu’il fait soleil et tout, et les voilà qui se mettent à répondre qu’ils engagent rarement la conversation sur ce genre de lieux communs…

-Tu sais, René, je n’aimerais pas être une intellectuelle… Ils ont l’air de vivre des vies tellement fuckées… Plus ils vont à l’école et plus ça leur monte à la tête… Ils finissent par ne plus apprécier les petites choses de la vie qui peuvent vous rendre heureux… Tout devient un drame, une tragédie, un monologue tristounet… Comment font-ils pour prendre toujours le chemin le plus long pour se rendre nulle part?

-On ne peut pas vivre leur vie à leur place… Et c’est pas moi qui perdrais son temps à lire Roland Barthes…

-C’est qui Roland Barthes?

-J’sais pas…

-Est-ce que tu m’aimes mon loup?

-Tu sais bien que je t’aime mon petit lapin bleu…

-Moi aussi je t’aime grand fou…

-Tu es ma tibidou bidoune!

-Hahaha!

-Hohoho!

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