Les Anishnabés véhiculaient l'idée qu'il faut être prêt à entonner notre chant de la mort à n'importe quel moment. Tout peut survenir. Et tout, même le mal, doit être considéré d'une âme ferme et décidée.
Il était de coutume chez les Haudenosaunees, alias les Iroquois, de torturer leurs prisonniers de guerre pour tester leur résistance. Toute la communauté s'y mettait, femmes et enfants surtout, pour faire passer un mauvais quart d'heure au malheureux. On coupait un doigt lentement avec un coquillage et on le fumait dans une pipe devant la victime. Ou bien on arrachait les ongles un par un. On tranchait une oreille. On appliquait des haches passées au fer rouge sur la peau. Bref, on s'amusait ferme. Cela pouvait durer un, deux ou trois jours.
Si la victime se mettait à crier ou pleurnicher, on l'exécutait sur-le-champ.
Si, au contraire, elle résistait, en entonnant stoïquement son chant de la mort, par exemple, elle avait une chance de survivre et même d'être adoptée en tant que membre à part entière de la tribu.
C'est ainsi que l'aventurier Pierre-Esprit Radisson, fait prisonnier par les Iroquois, a échappé deux fois à la mort après avoir perdu plusieurs morceaux. Il est demeuré calme dans le pire des enfers qu'un homme puisse imaginer. Son calme pouvait faire de lui un guerrier.
Évidemment, les Iroquois durent regretter d'avoir adopté Pierre-Esprit Radisson, un homme comme il ne s'en fait plus, un type qui a trahi autant les Iroquois que les Français et les Anglais pour être fidèle à lui-même. Je reviendrai un jour sur Radisson. On ne connaît pas suffisamment son histoire. Comme il a eu le malheur de fonder la Hudson Bay Company, on ne le tient pas en haute estime chez les historiens francophones. C'était pourtant, à sa manière, un grand homme qui vivait à une période trouble de notre histoire. Il n'y a pas plus Québécois que lui: c'était une sorte d'anarchiste avant la lettre, un coureur des bois, un enfant naturalisé de l'Île de la Tortue.
Pour en revenir à mon sujet principal, qui s'efface d'une digression à l'autre, je pense que notre communauté manque de fermeté d'âme.
Tout un chacun s'adonne à pleurnicher, à se victimiser et à crier sa douleur comme si nous n'avions plus aucune forme de résistance. Facebook constitue un amas de troubles identitaires où la victimisation fait fureur. Tout y est mou, flasque et gélatineux. Les braillards sont à l'honneur.
J'ai pris pour modèle Épictète, les Anishnabés et Radisson parce que je ne veux pas m'abandonner à la faiblesse, qui est beaucoup plus mentale que physique dans presque tous les cas.
Épicure disait aussi qu'il fallait se contrôler en toutes circonstances et transcender ce monde. S'il fallait être brûlé dans le Taureau de Phalaris, une cage d'airain où la victime était chauffée à blanc, il faudrait dire que cet endroit est chaud et agréable. Cette sagesse d'Épicure ne convient pas à tout le monde, je le conçois, mais elle est digne de mention pour mieux nous gausser des mauviettes de notre époque.
Mauviette: le mot est lancé. Nous vivons à une époque de mauviettes.
Tout un chacun se plaint de son enfance, de ses parents, de ses peines d'amour, de ses bobos... Un peu de caractère que diable!
Quand j'entends qu'il est sain de pleurer, je réponds qu'il est tout aussi sain, sinon plus, de résister aux pleurnichages. On a le droit et le devoir d'être fort, résistant, résilient, imperturbable.
La psychologie à deux sous nous enseigne l'émotivité extrême. La psychologie des Anciens nous enseigne la fermeté. Entre les deux, je choisis la fermeté, dusse-t-elle aussi s'appeler la virilité.
Tout à fait d'accord avec ton point de vue. «Facebook constitue un amas de troubles identitaires où la victimisation fait fureur.» Nous sommes trop braillards, trop dans l'émotivisme. Je crois que les médias ne sont pas étrangers à cela, mais encore là, tout mettre sur leur dos ferait de nous des victimes.
RépondreEffacerJ'ai lu les deux premiers livres d'Épictète cet hiver. J'aime beaucoup ce philosophe. Sa philosophie est difficile d'application. Je ne crois pas cependant qu'on peut humainement accepter de tout perdre sans sourciller. Pour faire bien les choses il faut les aimer, et quand on les aime, on s'y attache inévitablement. De penser qu'on quittera cette terre sans laisser aucune trace nous est insupportable, et quand on y pense, c'est logique, on veut pouvoir faire la différence. Le détachement prôné par les stoïciens et ensuite repris par les religions, n'est bon qu'en partie, car il est essentiel pour bien faire les choses, comme je l'ai dit, de s'y attacher et de les aimer. Ces penseurs ont oublié l'amour. Pourquoi? Parce que c'est un paquet de troubles, il est vrai, mais c'est aussi la plus belle chose.
La chose qui me fera toujours prendre les écrits de Sénèque avec un grain de sel, c'est le fait que tout en prêchant le dénuement et la dureté, il était lui-même multi-milliardaire à son époque. Je ne comprends pas encore aujourd'hui comment un homme aussi riche a-t-il pu écrire des choses pareilles. Mais peut-être qu'il me manque un bout dans son histoire...
@Julius Nonna Frans: Le stoïcisme de Sénèque et Marc-Aurèle est une affaire de riches, ce qui l'a rendu aussi populaire que le bouddhisme. Les repus s'inventent toujours toutes sortes de raisons pour prêcher la morale. Une morale qui s'adresse surtout à leurs esclaves.
RépondreEffacerPar ailleurs, Épicure et Épictète me semblent plus dignes d'éloges. Leur stoïcisme n'est pas feint. Il est une réponse à des situations absurdes.
La philosophie des autochtones m'est encore plus chère que le stoïcisme. Elle n'exclut pas l'amour. Ni l'erreur. Elle enseigne une attitude. Elle prône une certaine fermeté de caractère que même les missionnaires ont reconnu dans les récits de leurs premières rencontres avec les "Sauvages". Elle nomme Dieu l' "être imaginaire".
La philosophie, c'est l'amour de la sagesse... Exclure l'amour de la philosophie n'est pas sage.
Le détachement n'est pas une fin en soi. C'est une astuce pour résister à ce qui nous semble insupportable, dont la maladie, la perte d'un être cher, la mort.
Le bouddhisme m'est insupportable pour son nihilisme.
Je me sens un peu comme un chrétien athée. Je crois au don de soi, à l'amour, à la charité en action.
Je crois aussi que nous vivons à une époque où nous encourageons le fait de manquer de colonne vertébrale.
J'abonde tout à fait dans ton sens.
RépondreEffacerPas moi, Butch. J'abonde pas. Une fois n'est pas coutume.
RépondreEffacerJe ne t'écrirais pas ceci si je n'étais confiant que tu me connais suffisamment pour ne point me soupçonner de pleurnichardise, mollesse vertébrale, braillarderie publique et tout le tintouin désolatoire allant de pair, que tu évoques en termes clairs.
Mais il se trouve que je n'ai jamais cru à cette affaire de stoïcisme, pas au-delà de l'âge de quatorze ou quinze ans, quoique l'idée me plaisait puissamment jusqu'alors, entre mes lectures d'Épictète, de Nietzsche, de Sartre et d'Ayn Rand. Vois-tu, je me méprisais depuis l'enfance de ce que ma mère arrive toujours à me faire pleurer sans que je réussisse jamais à lui résister, et je me méprisais de ne pouvoir émuler ne serait-ce qu'un petit peu le contrôle de mon père sur ses idées et ses émotions, pour reprendre ton expression.
Well. J'aimerais dire que j'ai compris du soir au matin, que j'eus une épiphanie, car dans mon souvenir c'en fut une, mais dans les faits je crois qu'un soir je me suis couché et qu'en m'éveillant le lendemain j'avais changé: je me sentais capable de comprendre le mystère de mes douleurs et d'en sortir, sans la moindre idée encore de comment y parvenir, mais quelle importance? Le plus dur était fait.
Le même jour, la confrontation entre ma mère et moi m'a laissé les yeux secs, les nerfs calmes. J'étais stupéfait. Elle aussi.
Mon père, trente-cinq ans plus tard, contrôle toujours aussi roidement ses idées et ses émotions, qu'il m'intéresserait toujours de connaître, mais dont je ne souffre plus depuis longtemps qu'il les taise, parce que j'ai compris. J'ai vécu,j'ai engendré, j'ai vu, j'ai vieilli, je me suis mieux connu et partant lui aussi. Ses idées et ses émotions le contrôlent, a priori! Comme nous tous! Il a simplement appris à ne pas les exprimer, dès l'enfance, comme les gars de sa génération.
C'étais pas moi. Mes idées, mes émotions, je ne tenterais plus de les contenir comme une envie de péter dans un ascenseur bondé.
Résultat: je suis devenu ce que je suis, et aussi stoïque que toi, c'est-à-dire pas du tout! Même si les gens s'y trompent aisément, héhé...
Kwey, Butch.
@Mistral: le stoīcisme je le vois comme un remède dont il ne faut pas abuser. Vivre constamment sous cette médication peut effectivement obstruer notre vision des choses. Cela dit, il me semble que notre époque manque de colonne vertébrale. Et de sensibilité sincère...
RépondreEffacerQuand nous aurons bien compris que les événements ne sont que des éléments déclencheurs de nos émotions et non la cause, nous braillerons moins, eussions-nous vécu le pire! De nos jours, la sincérité est devenue une pelure de banane sur laquelle on glisse en se pétant la gueule! Un selfie avec ça? Question d'faire semblant qu'on est heureux ...
RépondreEffacer@lablondenaturelle: je te donne entièrement raison et ce n'est pas parce que je te connais... ;)
RépondreEffacerPleurer ne veut pas dire pleurnicher -
RépondreEffacerEtre sensible à la beauté comme aux agressions ne veut pas dire être con ; juste qu ' il y a de la beauté et des cons -
Pleurnicher veut dire attendre en pleurant , tel un bébé , que son papa , sa maman , son frère , sa soeur , ou je ne sais qui vienne vous aider -
Ne pas pleurnicher veut dire qu ' on sait qu ' on peut beaucoup ( presque tout ? ) soi-m^me . Mais que - pour-autant - on ne peut pas toujours tout et qu ' alors il ne faut pas avoir la vanité de refuser de demander -
Aimer pour le meilleur et pour le pire pour le meilleur !