lundi 9 septembre 2013

Oumphe... ou la sagesse de Rénald-grilled-cheese-de-calice

Rénald n'était pas un philosophe au sens propre, mais dans son sens sale il n'en était pas moins un sage.

Sa sagesse provenait essentiellement de son mutisme. Il ne disait jamais un mot plus haut que l'autre, Rénald, et se contentait de hausser les épaules pour toute forme de commentaire.

Ce n'était pas un gars bien costaud, ni tout à fait un nabot. Pour dire vrai, Rénald était de constitution normale et ne portait jamais la moustache pour cette faculté qu'elle a de se tartiner de jaune d'oeuf ou bien de gruau. Rénald préférait être glabre et ressemblait à s'y méprendre à Clark Gable qui n'aurait pas un rond dans ses poches ni de moustache.

Cela faisait bientôt quinze ans que Rénald travaillait pour Allumettes Inc., une compagnie qui fabriquait des allumettes en bois vendues essentiellement en Autriche parce que le patron de la boîte avait de la famille là-bas.

Rénald était manutentionnaire depuis le tout début.

Le patron, Heinrich Baillargeon, avait voulu lui offrir un poste de contremaître mais il était évident que son mutisme serait un frein à la communication, qualité dont ne saurait se passer le gestionnaire d'une fabrique d'allumettes.

Rénald demeura donc à son poste de manutentionnaire et il ne s'en sentait pas plus mal. On suppose qu'il pensait en son for intérieur que rien ne lui était plus agréable que d'avoir la sainte paix. Il appert que ce ne sont que des suppositions et qu'il est possible que Rénald ait penser tout le contraire, quelque chose comme j'aimerais tant me faire des amis et partager une bonne tarte aux pommes.

On devrait donc se passer de suppositions et se concentrer sur les faits. Facts, nothing but facts, ce sont d'ailleurs les premiers mots du roman Hard Times de Charles Dickens. Quand les temps sont durs, certes, contentons-nous des faits. Et Rénald, non Rénald n'en sera pas l'exception.

Pour revenir aux faits, Rénald haussait les épaules et lâchait parfois un oumphe très banal.

-Comment ça va Rénald-big-crazy-boy, hein? lui disait Langevin.

-Oumphe... qu'il répondait.

-Préfères-tu la sauce dijonnaise à la mayonnaise mon p'tit Réré? lui demandait candidement Gertrude alias la stuck-up-full-make-up.

-Oumphe... ajoutait-il.

-Rentres-tu travailler d'main Rénald-grilled-chesse-de-calice? expectorait le gros Bill Lafrenière avec son haleine fétide.

-Oumphe... rajoutait Rénald.

Je pourrais vous donner encore mille exemples de sa sagesse, mais à quoi bon, hein?

On en reviendrait toujours à la même réponse toujours suivie d'un haussement d'épaules.

Cela passait pour de la sagesse chez Allumettes Inc. parce que tout le monde y parlait pour rien dire, pour tuer le temps qui sentait un tant soit peu le soufre dans ce coin-là. D'aucuns se croyaient en enfer de travailler là jour après jour avec un zouf qui ne sait dire que oumphe.

Pourtant, sa sagesse se manifesta lorsque la shop mit fit à ses activités.

-Faut j'farme, avait déclaré Heinrich Baillargeon. Chu tanné d'l'Autriche pis des allumettes. J'vends à perte depuis six mois. M'en va's tout vendre, déclarer faillite pis me r'partir une chaîne de poulet rôti su' 'a broche.

-Oumphe... conclut Rénald, comme si le rien était.

Tout le monde pleura de chaudes larmes en se demandant comment ils paieraient leur maison, leur auto, leur gâteau, leur polo, leur radeau, leurs cadeaux et autres oripeaux.

Rénald y alla d'un oumphe, encore et encore, jusqu'au chômage et jusqu'à l'aide sociale.

On le voit souvent sur sa galerie ces derniers temps.

Rénald boit un verre d'eau en se berçant et il fixe le vide devant lui.

Des gens passent de temps à autres, tentant vainement d'entreprendre une conversation.

Rénald leur répond invariablement oumphe, bien entendu, et s'il passe pour un sage, c'est bien malgré lui.




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