vendredi 27 septembre 2013

On peut être pauvre et sentir bon

Quand le soleil se lève sur la ville et que les pelouses ruissellent de rosée, Ti-Caille Landry part faire sa tournée des poubelles. 

Ti-Caille Landry est ce gros gars qui claudique du pied gauche en traînant des gros sacs à vidanges remplis de canettes d'aluminium et autres bouteilles consignées. Il vit seul dans une chambre humide, sans fenêtre et basse de plafond. Il partage la toilette et la salle de bains avec dix autres éclopés qui ont échoué sur les rivages des Appartements Cinq-Étoiles. Son bloc passe au feu aux trois mois, mais la plupart du temps les pompiers arrivent à temps. Ou bien les résidents se débrouillent avec les moyens du bord pour l'éteindre, quitte à pisser dessus en rigolant puisque la vie ne peut pas être toujours triste et austère. Surtout pour des paumés qui doivent toujours attendre leur tour avant que d'aller chier ou pisser dans ces mautadits Appartements Cinq-Étoiles...

Avant-hier, Ti-Caille Landry a trouvé une bouteille de parfum Drakkar Noir dans le bac de la Pharmacie St-Louis & Laquerre en faisant sa tournée. Il y avait aussi des barres de chocolat passées date et des carnets de notes. Ça changeait de l'ordinaire.

Ti-Caille Landry s'est donc bourré de chocolat et comme il débutait sa tournée, hier, il sentait à plein nez le Drakkar Noir.

-L'important s'est de se lever de bonne heure Guétan, qu'il m'a dit lorsque je l'ai croisé dans le Parc Pie-XII... Mais partir trop tôt c'est pas mieux... Faut qu'tu puisses voir de quoi... La nuit, on voit rien... Je pars faire ma tournée des poubelles seulement quand le soleil se lève sur la ville et que les pelouses ruissellent de rosée... I' sent-tu bon c'te parfum-là Guétan, hein? C'est du Drakkar Noir! J'ai trouvé une grosse calvâsse de bouteille... M'a n'avoir pour un an! M'en va's sentir bon pis les femmes vont s'mettr' à m'aimer! Arf! Arf! Arf!

Je n'ai pas contredit Ti-Caille Landry. J'ai fouillé dans mes poches pour voir si je n'avais pas quelque menue monnaie pour me soulager la conscience d'un grand poids. 

Je n'avais rien à lui donner. Même pas une médaille du Frère André.

Voilà pourquoi je vous ponds ce texte ce matin.

Pour me soulager la conscience.

Pour redonner à Ti-Caille Landry ses lettres de noblesse.

Et pour prouver qu'on peut être pauvre et sentir bon.







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