vendredi 7 janvier 2011

Ba moin en tibo

Tout était danses et chansons pour Napoléon D'Aquin, un préposé aux bénéficiaires d'origine haïtienne qui ne s'en faisait pas avec la vie. Il riait tout le temps aux éclats. Et, comme de raison, il avait toutes ses dents, blanche comme de la craie. Aussi, tout le monde le trouvait sympathique, hormis quelques crétins. Comme c'était un géant de six pieds quatre pouces, deux cent cinquante livres, eh bien les crétins le laissaient tranquille. Ce qui fait qu'il pouvait danser et chanter tout à son aise.

À tous les jours, il arrivait à l'ouvrage avec son répertoire de chansons créoles et québécoises. Il aimait surtout La Bolduc. Il était accroché sur La bastringue.

-C'est entraînant! qu'il disait, en dansant comme un gars des Antilles. «La bastrrr-ingue! La bastrrr-ingue! Ha! Ha! Ha!»

L'an passé, beaucoup de ses proches sont morts pendant le tremblement de terre en Haïti. Sur le coup, il a chanté et dansé, surtout lors de collectes de fonds pour les victimes du tremblement de terre. Puis il a perdu ses chants, son goût pour la danse. Il est devenu l'ombre de lui-même.

Jusqu'au jour où, par hasard, il apprit que Miranda était encore vivante.

Miranda qui était, comme personne ne le savait encore, l'amour de sa vie.

Miranda lui téléphone donc de l'aéroport. Elle souhaite le rencontrer. Le petit coeur de Napoléon bat plus que très fort et en moins de temps qu'il ne le faut pour se raser, le voilà qui file sur l'autoroute pour aller rejoindre sa bienaimée.

C'est bien elle, Miranda, devant l'Aéroport Pierre-Eliot-Trudeau. Elle porte une tuque, puisque c'est l'hiver. Et elle sourit.

-Napoléon! qu'elle crie en le voyant.

-Miranda! qu'il crie aussi.

Ils tombent dans les bras l'un de l'autre. Des becs sur la bouche. Des étreintes compliquées. Et ce sont les retrouvailles après trois ans d'absence.

-Pourquoi ne m'as-tu jamais appelé? lui demande Napoléon.

-Je n'avais pas ton numéro de téléphone! qu'elle lui dit.

-Tu aurais pu le demander à Plufaude! qu'il lui répond.

-C'est qui Plufaude?

Ils abandonnent cette discussion. Sourient. Et s'embrassent encore.

Napoléon invite Miranda au restaurant. Puis ils s'en vont vers la demeure de Napoléon, un petit bungalow situé à Joliette, près de l'hôpital où il travaille.

Ils font l'amour, évidemment.

Puis Napoléon retrouve le coeur à la danse et aux chants.

-Il ne faut pas désespérer! qu'il se dit en lui-même, avec sa Miranda blottie au creux de ses bras. C'est dans l'allégresse que tout se rebâtit!

Ça ne voulait pas dire grand' chose en soi, mais c'était mieux que rien.

La nuit passa. Napoléon vint au travail le coeur léger et l'âme sereine. Il chanta. ll dansa.

-Pou' moé t'es en amou'! lui dit Guy Gosselin, son collègue préposé, pour le taquiner un brin.

-Ha! Ha! se contenta de répondre Napoléon. Ça ne peut pas toujours aller mal dans la vie!

2 commentaires: