dimanche 3 janvier 2010

Quelque part en 3010

On détestait tous d'avoir à faire cette conférence télépathique. Il le fallait bien pour obtenir son diplôme. Josse-Lin, le professeur, était un sacré fouille-merde qui vous lessivait un cerveau en moins de deux. Il y voyait votre jardin secret et vous le renvoyait dans la face, à la conscience de tous, qui évitaient de rire pour ne pas avoir à subir la même médecine devant les camarades de classe.

On ne sait pas trop qui était ce sacré Josse-Lin. Sinon qu'il fallait se connecter à lui tous les lundis matins pour suivre le cours d'éthique appliquée. Il ne jasait pas beaucoup sur sa personne et jubilait qu'on le perçoive comme un simple esprit qui relevait vos fautes de pensée devant tout un chacun, dans le but de parfaire votre éducation morale, comme il disait. Mais quel qu'en soit le but, le moyen était toujours l'humiliation. Ce qui finit par me faire croire que les moyens ne justifient rien et se confondent au but poursuivi: l'humiliation, l'obéissance et toutes ces conneries.

J'avais souvent envie de lui botter le cul, à ce Josse-Lin, mais il n'y avait rien à faire. Il n'était pas là. Je n'avais que sa voix dans ma tête, sa voix triste de censeur qui vous triturait l'âme jusqu'à vous en sortiez tout épuisé, avec l'envie de ne plus développer tous ses sens, de ne plus être immortel tiens, et de ne plus voyager dans le temps et les espaces interstellaires. Juste l'envie d'être comme nos ancêtres les humains, à vivre comme des animaux, avec la force gravitationnelle qui vous masse les muscles des jambes et vous donne de la colonne vertébrale. Manger de la viande, tiens. Et jouer à ces jeux physiques comme le ping-pong et le bowling, où ils sublimaient leurs instincts guerriers et autodestructeurs.

Qu'étions-nous devenus? De purs esprits sous le joug de tous ces sales Josse-Lin de l'univers qui vous donnent des cours d'éthique appliquée pour vous vider de toute pensée originale, indépendante, souveraine quoi...

Que restait-il tout au bout? Le même gruau mental pour tout le monde!

Plus de jardin secret. Plus d'arrière-pensée. De purs esprits qui ne jouent ni au ping-pong ni au bowling, occupations frivoles compte tenu de nos engagements envers je ne sais quelle métaconscience enveloppée de je ne sais trop quel métalangage sirupeux.

Ce qui me porte à croire que, hormis la télépathie pour tous, le surhumain ne bat pas l'humain tout court, tel qu'il était, du temps où ils mélangeaient leurs excrétions pour procréer. Avant l'application de la loi sur les naissances utiles et rationnelles lors du 23e congrès du Parti Surhumaniste.

Puis, un beau jour, pendant un cours de Josse-Lin, je suis devenu quelqu'un d'autre. C'est-à-dire quelqu'un. J'avais trouvé le moyen de cacher des pensées, toujours un peu plus, et je le sentais s'énerver dans le ton de sa voix. Normal. J'étais le premier à pouvoir bloquer les intrusions mentales des télépédagogues.

-Que nous caches-tu, Jo-Bine, sifflait la voix de Josse-Lin, dis-nous ce que tu nous caches dans ta tête Jo-Bine? Je sais qu'il y a une barrière mentale dans ta tête... Je le sais... Montre-nous ton jardin secret, Jo-Bine. On ne doit rien se cacher entre nous...

Je ne lui répondais rien. Rien du tout. Et il s'énervait toujours plus, Josse-Lin, et mes camarades sentaient bien que quelque chose de tout à fait inattendu se passait.

J'étais devenu le premier surhumain à pouvoir dissimuler ses pensées même pour le plus aguerri des télépédagogues. Et ne me demandez pas comment ça s'est produit. Mais je peux vous dire comment faire, héhé!

-Dis-nous ce qu'il y a dans ta tête Jo-Bine! Nous t'en prions, au nom de ton honneur de surhumain! Dis-le nous Jo-Bine! qu'il criait dans ma tête Josse-Lin... Oh! Je l'entends encore ce sifflement lointain...

Non. Je ne dirais rien à Josse-Lin ni à qui que ce soit. Je tiendrais ces pensées secrètes, envers et contre tous. Grâce à mon truc. Un truc que j'ai fini par apprendre à quelques-uns de mes camarades. De sorte que nous formons maintenant une véritable bande de bâtards dans l'univers ultra-conformiste des télépédagogues et autres enculeurs de mouche du cosmos.

Avec le temps, j'ai même réussi à bloquer tout à fait la voix de Josse-Lin dans ma tête. Je peux choisir l'âme avec laquelle je souhaite communiquer par télépathie. Je leur ai tous montrer le truc pour qu'ils puissent se garder un jardin secret qui soit hors de portée des télépédagogues et autres censeurs qui surabondent dans l'univers en ces temps d'ignorance et de conformisme.

Moi et ma bande on se tape de petites balades sur des planètes bleues de temps à autres.

On s'est remis à l'anthropologie. Et on essaie de vivre comme les humains, quoi, en réduisant la télépathie, la téléportation et la télékynésie au strict minimum. On se fait des feus sur les plages. On nage tout nu. On boit des liqueurs barbares constituées de jus de racines fermentées. On mange des trucs visqueux qui vivent dans des coquillages. C'est barbare, oui, mais on aime ça.

C'est comme si le fait de vivre enfin dans son corps donnait du sens à la vie. Comme si le fait de risquer la mort, de perdre notre immortalité loin des grands centres de reconstitution biologique devrais-je dire, nous rendait plus surhumain, ouais, avec la conscience que tout ça pourrait s'arrêter un jour ou l'autre, comme ça, pfuit!

Nous sommes aujourd'hui le 3 janvier 3010. La terre est belle ce matin. Les humains sont beaucoup moins nombreux qu'il y a 1000 ans. Il en reste quelques milliers ça et là, protégés par l'Office de protection des animaux et des humains. Ils cultivent essentiellement des racines desquelles ils tirent une farine avec laquelle ils font des genres de biscuits. Ils produisent aussi une liqueur enivrante avec cette même racine. Puis c'est à peu près tout, sinon qu'ils croient que nous sommes des dieux, ignorants comme ils le sont, mais si affectueux aussi en même temps... Ouais, ils sont affectueux les humains.

Nous sommes sur l'Île des Kangourous qu'ils appelaient autrefois l'Australie. Il y a un beau feu sur la plage. On boit de la liqueur de racine. Et on contemple l'océan, le ciel et les nuages.

4 commentaires:

  1. Wow! tu viens déjà de faire mon année 2010! si tu savais comme j'aime la science-fiction.

    MERCI GAÉTAN!!

    (et maudite belle critique sociale par la bande!)

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  2. tu devrais écrire plus de s.F.

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  3. Bon ben... m'en vais faire d'autres nouvelles de science-fiction. Ça va se passer en 4010 la prochaine fois. Puis en 5010. Jusqu'à ce que l'on se rende en l'an 10000 quelque chose pour aller rencontrer l'inventeur de la machine à voyager dans le temps qui doit se battre contre des troglodytes pour sauver une bande d'imbéciles incultes qui ne savent même plus ce qu'est un livre...

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