dimanche 10 janvier 2010

L'histoire d'un gus qui se pétait des bouteilles sur la tête

On le surnommait Kojak. Il s'était fait raser le crâne lors d'un séjour de trois mois à la prison d'Orsainville. La boule à zéro, Kojak ou le mont chauve, ce n'était que du gros bon sens de le surnommer ainsi. C'est cette image qu'il nous présentait et Kojak, franchement, ça lui allait comme un casque de bain, quoique le Kojak de la télésérie combattait le crime au lieu d'en commettre.

Kojak était unique en son genre. Polytoxicomane au dernier degré, il savait redoubler d'astuces pour obtenir de quoi lui faire oublier quelques instants qu'il était le dernier des abrutis. C'était un grand dadais déguingandé qui parlait mal, sacrait beaucoup et postillonnait souvent. Culture générale? Zéro. Intérêt dans la vie? Planer.

Ses crimes étaient tous des crimes de crétin: des vols de bouteilles de shampoing, des faux et usage de faux, des entrées par effraction, du recel, de la vente de poudre à rats qu'il faisait passer pour des stupéfiants, etc.

Cela faisait deux jours que Kojak venait de sortir d'Orsainville. Il hésitait de s'en remettre à ses petites combines habituelles compte tenu qu'il était en liberté provisoire. Ce qui fait qu'il s'en était créée une, pas trop offensante pour l'appareil judiciaire, qui consistait à se péter des bouteilles sur la tête dans les bars pour qu'on lui paie de quoi se saouler jusqu'à plus soif.

-Vingt piastres su' 'a table que j'me pète une bouteille su' 'a tête sans m'faire mal! disait-il d'entrée de jeu et, il faut bien le dire, sans un sou vaillant dans ses poches.

-Ok, répondait quelqu'ivrogne. Pète-toé-la su' 'a tête, ma bouteille, pis j'te donne vingt piastres.

Tout le monde s'écartait. Sauf la barmaid qui voulait en finir au plus vite avec le balai et le porte-poussière, même si Kojak lui promettait cinq piastres de pourboire sur sa cagnotte.

Kojak prenait la bouteille et l'analysait sous tous ses côtés. Un gus qui se pétait des bouteilles sur la tête en prison lui avait enseigné qu'il y a toujours un côté plus mince sur ces bouteilles de fabrication syndicale. C'est ce côté-là qui devait servir à se fracasser le crâne pour que la bouteille revole en mille éclats sans se faire bobo.

Paf! Kojak péta sa première bouteille sur sa tête. Il encaissa le vingt dollars et commanda quatre onces de whiskey avec une bière. Il n'y avait aucune égratignure sur son front. Tout le monde était stupéfait.

-Vingt piastres que j'm'en pète une autre su' 'a tête sans m'faire mal! reprit Kojak.

Ok. Gino allongea un brun sur la table et Kojak refit le même manège. Repaf. Quatre onces de whiskey, une bière, cinq piastres de pourboire pour la barmaid.

Quatre autres contributeurs allongèrent des bruns sur la table. Kojak calait l'alcool à vive allure de sorte que six bouteilles fracassées sur sa tête plus tard, soit dix-sept minutes, il commençait déjà à se sentir vaciller. Son jugement s'altéra. Et son analyse du côté faible des bouteilles fit défaut.

Kojak souleva sa septième bouteille et, au lieu de se la péter sur la tête du côté où la paroi était la plus mince, eh bien il se frappa le caillou avec l'extrémité la plus opaque du contenant.

Toc! La bouteille ne péta pas cette fois-là. Et Kojak était stupidement étendu au sol, les quatre fers en l'air, le sang qui pissait de son front d'idiot.

On le retrouva dans une ruelle, à quatre heures du matin, nu comme un ver. On lui avait piqué ses vêtements, ses bottes, son portefeuille et ses clés. Le sang s'était coagulé sur son front. On était en juin mais il faisait quand même froid. Ce qui fait que Kojak grelotta jusqu'au matin, la pauvre petite bête...

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