mercredi 13 août 2008

De l'Université Laval au Centre hospitalier de l'Université Laval...


Les études en droit à l'Université Laval, croyez-moi, ça coûte une sacrée beurrée. D'abord, il faut acheter tout plein de livres ennuyeux comme le Code civil, le Code de procédures civiles, le Code criminel, puis toute une flopée de traités sur les obligations, le droit matrimonial, les contrats, la jurisprudence, etc. Tu ne t'en tires pas en bas de 1000$ la première année, si ce n'est pas plus.

Mon père aurait aimé que je devienne avocat, peut-être pour avoir un avocat dans sa poche afin de mener plus loin ses incessants combats solitaires contre les autorités publiques. Mon père, un métis d'ascendance anishnabe, vouait un mépris olympien envers tous les chefs. Je suis pareil comme lui. Tout «Sauvage» est un roi: c'est ce que disaient les jésuites dans leurs célèbres Relations. Si nous détestons royalement l'autorité, c'est essentiellement pour des raisons génétiques...

J'ai donc fait mon entrée à la faculté de droit en 1987. Je m'y suis emmerdé royalement. Je passais le plus clair de mon temps à lire Nietzsche, Dostoïevski, Cavanna, de vieux numéros de la revue Hara Kiri, le prince Kropotkine et Léon Trotski. Bref, je lisais vraiment n'importe quoi, sauf ce que je devais vraiment lire, soit mes ennuyeux livres de droit. Je les ouvrais deux jours avant les examens. Et je les passais pas trop mal, ces examens, puisque j'ai une mémoire d'éléphant. J'enregistre les mots comme le rat de bibliothèque dans Batman.

Au bout de trois mois, j'avais épuisé toute la maigre fortune que je m'étais amassée en travaillant tout l'hiver, le printemps et l'été précédents. J'approchais du point de rupture en pleine période des examens finaux! Je grattais mes fonds de tiroirs, roulais mes sous noirs, vendais mes bouteilles, mes disques, mes culottes.

Comme j'avais plutôt faim, je me suis mis à la recherche d'un emploi. J'en ai décroché un tout de suite en arrangeant un peu la vérité. Je suis devenu préposé aux bénéficiaires au Centre hospitalier de l'Université Laval (CHUL) parce que j'avais travaillé dans un foyer pour personnes âgées à Trois-Rivières, oubliant volontairement de mentionner que j'y lavais des vitres et non pas des personnes.

Je me suis dit, bêtement, que si Walt Whitman pouvait être infirmier sur les champs de bataille, je pouvais bien être préposé aux malades, je veux dire aux «bénéficiaires», dans le jargon déshumanisant des fonctionnaires. D'autant plus que c'était payant pour l'époque: 12$ l'heure.

-Qu'est-ce que tu faisais au foyer? m'avait demandé la directrice des ressources humaines, une joufflue très sympathique.

-Eh bien, avais-je répondu, je lavais les patients, les habillais et tout le reste...

-Parfait. Es-tu prêt à commencer demain?

-Demain??? Hee... Oui...

Le lendemain, tout vêtu de blanc, je commençais mon entraînement au département des soins coronariens. Ce fût tout un choc culturel... Le pauvre petit étudiant en droit un peu dadais allait devenir un homme en moins d'un quart de travail.

Accompagné de mon entraîneur, un type qui filait comme une comète d'une chambre à l'autre, j'ai reçu la pire initiation au métier que l'on pourrait concevoir.

J'ai lavé, rasé et torché des malades. Ça je l'avais prévu. Ce ne fût pas trop difficile. Tu trempes ta débarbouillette, tu la fais savonner un peu, tu laves, tu rinces. Un jeu d'enfant.

C'est la suite que je n'avais pas prévue.

-Code 100 chambre 103! Je répète: code 100 chambre 103!

La comète qui était avec moi m'a pris par le bras et m'a prié de le suivre en courant.

-Il faut aller chercher le kit de réanimation cardiaque pour la chambre 103! Suis-moi! Vite!!!

On court comme des malades. On rapporte le kit à la chambre 103.

Une grosse dame, nue, est chevauchée par un médecin qui lui masse le coeur. Les yeux de la dame sont révulsés. Elle a vomi. Sa langue pend. On approche le kit, les infirmières branchent les appareils et le médecin y va de deux ou trois électrochocs. Je suis sous le choc...

Il ne se passe rien. Il masse encore. Puis il demande à mon entraîneur de la masser, parce qu'il est fatigué. Puis c'est mon tour... Gulp! Je chevauche la dame et la masse, comme j'ai appris dans mes cours de RCR. Elle est morte depuis longtemps mais il faut suivre la procédure.

-Elle est morte, déclare finalement le médecin. Elle n'a pas de famille. Emmenez-la tout de suite à la morgue! ajoute-t-il en se tournant vers nous.

Alors la comète va chercher un linceul de plastique avec des étiquettes d'identification. La grosse dame est affreuse. Ce n'est pas la mort telle que je me l'étais imaginée. C'est la vraie mort. Et ce n'est pas beau.

On lave d'abord le cadavre. Puis on attache les mains et on glisse des cartons d'identification autour des poignets et des chevilles, «au cas où ils auraient à découper les membres» me dit la comète.

On enveloppe finalement la grosse dame dans son linceul et on va la porter à la morgue, au sous-sol, cet endroit sinistre que je visiterais fréquemment au cours des deux prochaines années.

De retour à la maison, je suis sonné. Je dois préparer un examen de droit constitutionnel. Et franchement, je n'en ai rien à foutre. Je pense à la vie, à la mort, à la morgue...

Je rentre tout de même à l'université le lendemain, puis au travail. Et pendant deux mois, j'essaie tant bien que mal de travailler au CHUL tout en poursuivant mes études en droit. Quand je travaille de minuit à huit, j'arrive juste à temps pour le cours du matin et je dors pendant mon cours.

Je pense à la vie, à la mort, à la morgue, et mes profs m'embêtent avec des emphythéoses, des hypothèques et des vices de forme. Ça ne colle plus.

J'abandonne mes études.

Je me contenterai de gagner ma vie au CHUL, tiens.

Épilogue

Ce fût la meilleure décision de ma vie, tout compte fait. Le gars fade et narcissique qui étudiait en droit est devenu, en travaillant à l'hôpital, un être humain meilleur, rempli de compassion et de charité.

Le sort des malades me préoccupait. Je me sentais important pour ces gens-là, encore plus que pour n'importe quelle personne qui aurait besoin d'un avocat.

Pendant deux ans, j'allais côtoyer la mort tous les jours.

J'ai plus appris au CHUL qu'à l'Université Laval.

Suivez mon blogue, les amis, d'autres anecdotes me reviennent à la mémoire par les temps qui courent. J'ai plein de trucs à raconter. Ça chauffe sous mes cheveux.

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