lundi 27 mars 2017

Pépito a rencontré Jésus

Pépito était tout petit, malingre et pratiquement analphabète. Il brossait des souliers gratuitement dans les lieux publics nourrissant l'espoir qu'on lui rende la charité. Il recevait parfois des coups de pied, Pépito, parce que les gens n'ont pas que ça à faire, supporter tous ces pauvres qui pullulent dans Bogota et qui vous voleraient votre portefeuille s'ils le pouvaient.

Pépito avait la couenne dure à force de se faire battre. Il ne craignait plus les coups et était disposé à passer à une autre étape de sa pitoyable existence.

C'est à ce moment-là, justement, qu'il avait rencontré Jésus.

Jésus était membre des Locos, un gang de rue qui s'était récemment constitué dans le quartier. Les Locos faisaient toutes sortes de sales boulots pour d'encore plus grosses organisations criminelles. Ils volaient des portefeuilles. Ils coupaient des mains pour voler des bagues, des bracelets et autres bijoux. Ils transportaient de la drogue d'un point A à un point B. Ils en vendaient même un peu. Et puis ils avaient cet insigne privilège, au bout d'un an de loyaux services, de recevoir un vrai revolver grâce auquel plus personne ne leur donnait des coups de pieds au cul.

-Tu devrais devenir membre des Locos Pépito. Fini le brossage des souliers... C'est toi qui va te faire brosser les souliers dorénavant. On va te faire devenir riche mon frère...

Pépito avait enfin trouvé une vraie famille.

Lui qui s'était toujours promené nus pieds chaussaient dorénavant des espadrilles Nike. Il avait un beau collier en or autour du cou. Tout le monde le respectait enfin parce que tout un chacun le craignait. Il avait un vrai logement maintenant avec un ordinateur, un écran plat et un système de son qui crachait comme l'enfer des airs à la mode du jour.

Un jour, Pépito croisa un monsieur qui lui avait déjà donné un coup de pied au cul du temps où il brossait les souliers dans les lieux publics.

-Hé connard! Tu te souviens de moi?

-Pardon? Est-ce que je vous connais?

-Oui. Mais tu ne t'en souviens pas... C'est moi, Pépito... Tu m'avais donné un coup de pied au cul du temps où je brossais les souliers sur la Place de la Madone...

-J-j-j-e ne sais pas de quoi v-v-v-vous p-p-p-parler... bégaya le monsieur qui portait un chapeau.

-Ah oui? Et si je te collais ce revolver sous le menton, comme ça, ça te rafraîchirait la mémoire, hein?

L'homme n'osa rien dire. Pépito appuya sur la gâchette et la balle transperça la gorge, le cerveau et la boîte crânienne.

Pépito ne partit même pas à courir. Il rangea son revolver  dans son pantalon et s'en alla comme ça, calmement, comme si rien ne s'était passé. Il acheta même des burritos qu'un type vendait sur la rue.

Il croisa Jésus quelques minutes plus tard. Jésus était en train de se faire brosser les souliers par un petit mendiant haut comme trois pommes.

-Tiens petit, prends ce billet de 5000 pesos, tu as bien travaillé, lui dit Jésus après que le mendiant eut terminé son travail.

-Hola Jésus! Comment ça va? lui demanda Pépito.

-Très bien. Et toi Pépito? 

-La pleine forme. As-tu vu mes nouvelles espadrilles? Ce sont des Nike.

-Wow! Mais faudrait bien que tu passes à plus chic, Pépito... Les affaires sont bonnes... Regarde mes souliers italiens... Cela coûte la peau des fesses... Je les ai prises à un type qui chaussait la même pointure que moi... Je l'ai buté Place de la République. Senor Ramone ne porte que des souliers italiens. Tu le savais Pépito? 

-Wow! J'aurais dû y penser moi aussi... quand j'ai explosé la tronche d'un sale con Place de la Madone il n'y a même pas cinq minutes... Il avait de beaux souliers... Peut-être que j'aurais pu les chausser...

-Ah oui? Tu l'as buté?

-Oui. C'était un connard qui m'avait foutu un coup de pied au cul quand je brossais les souliers dans la rue. Comme ce petit... Hé! Petit mendiant... Viens-ici petit mendiant!

-Oui? demanda le petit mendiant.

-Tiens voici un billet de 5000 pesos pour toi.

-Vous voulez que je brosse vos souliers senor?

-Non... Je te donne 5000 pesos pour que tu ne les brosses pas!

-Merci! Gracias! 

Y'a pas à dire, la vie était belle et bonne pour Jésus et Pépito.

-Et dire qu'il y a à peine un an je ne valais pas mieux que ce pauvre petit mendiant... Je recevais plus de coups de pied au cul que d'aumônes. Une chance que je t'ai rencontré Jésus.

-C'est toujours une chance que de rencontrer Jésus mon ami...

-Oui! Ha! Ha! Et qu'est-ce qu'on fait maintenant?

-On va tuer un touriste qui porte la même pointure de souliers que toi. Tu chausses des combien Pépito?

Le soir même, Pépito et Jésus se sentaient les rois du monde avec leurs souliers noirs qui étincelaient au soleil. Tout le monde s'écartait sur leur passage. On savait qu'ils faisaient partie des Locos. Et on savait aussi qu'il ne fallait pas contrarier les Locos.




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