vendredi 24 mars 2017

Pauvre cloche !

C'était une pauvre cloche. Elle croyait que ses jugements de valeur étaient des lois fondamentales de l'univers. Elle ne connaissait rien à rien, avait la curiosité intellectuelle d'un dé à coudre et pas plus de goût esthétique qu'une page de catalogue de mode collée par du sperme de collégien.

Elle était anxieuse, déprimait pour un rien et ramenait toute conversation à son moi tant intérieur qu'extérieur. Sa croissance était personnelle. Sa spiritualité était comme celle dont elle avait entendu parler dans une émission de télé, juste avant une publicité des outils de cuisine Snappe-Pomme.

Cette sotte aurait pu être jolie si elle n'avait pas été aussi superficielle. Son conjoint Jean-Luc, un plombier effacé et docile, passait pour un saint lorsqu'on le comparait à cette pimbêche.

Elle s'appelait Marianne. Elle avait des faux-cils, de faux-ongles, des fausses dents et des faux tétons. Tout ce qu'il y avait de vrai en elle c'était cet espace restreint entre ses deux yeux qui lui conférait un air naturellement stupide. D'autres, avec moins d'espace entre les deux yeux, auraient passé pour des génies. Mais elle, bon sang, il y avait des limites à la supporter. De sorte que l'espace réduit entre ses deux yeux devenait une preuve irréfutable de son imbécillité.

Quand on avait le malheur de lui parler des nouvelles, elle se vantait de ne rien savoir.

-Ça donne quoi d'savoir tout ça hein? Hahaha! Pfff...

Ça ne lui donnait rien de savoir tout ça ou de savoir quoi que ce soit, tout le monde l'avait très bien compris.

Ses goûts étaient toujours idoines à ceux du jour. Aimait-on la chanson stupide d'un gorille qui bégaie qu'elle se mettait à bégayer comme une gorille. Aimait-on la décoration feng shui qu'elle plaçait le feng shui dans toutes ses conversations tout en décorant sa maison de bibelots et de reproductions grotesques achetés dans des boutiques qui vendent du blingbling pour ce genre de personnes dénuées de sens contemplatif.

Jean-Luc, son conjoint, se laissait faire comme une poupée Ken. Marianne l'obligeait à se vêtir comme un beau suçon. de sorte qu'il finissait lui aussi par avoir l'air d'un vieux qui faisait semblant d'avoir l'air cool.

Jean-Luc se tapait des heures supplémentaires à chaque semaine pour financer les caprices de Marianne et voyait venir le temps où ils s'écraseraient tous deux contre le mur de la réalité. Il lui payait des voyages, des accessoires, des sorties avec location de limousine et tout ce que son salaire ne pouvait plus se permettre sans défoncer sa marge de crédit.

Marianne n'en avait rien à foutre de ses plaintes. Tant et si bien que Jean-Luc préférait les taire. Il faisait semblant d'être heureux. Il faisait semblant de rire. Il faisait semblant de bien vivre... Mais au fond de lui-même, Jean-Luc était malheureux comme l'enfer.

Et Marianne continuait à parler d'elle à la première personne du singulier sans se soucier des malheurs des uns et des autres.

-Moi! Moi! Moaaaa!

Et tout était dit.

Elle n'employait que les meilleurs produits.

Elle n'allait que sur les plus belles plages.

Elle ne se faisait coiffer que par Ricardo Spaghetti.

Elle n'achetait que le parfum le plus cher.

Bref, bien qu'elle n'ouvrait jamais un livre et encore moins un journal, Marianne était une vraie chick.

-T'es chanceux d'être avec une belle chick comme moi... Tout l'monde me r'garde les totons!

-Oui je sais... lui répondait Jean-Luc en réprimant son envie de bayer aux corneilles.

Il se voyait dans une cabane en bois rond. Jean-Luc, ou bien à la pêche, avec des vers gros comme ça, sur le bord de la rivière. Seulement pêcher oui... Comme lorsqu'il était enfant. Regarder le ciel, le vent qui fait ondoyer les vagues, les oiseaux qui virevoltent...

-Va falloir que j'me refasse une chirurgie faciale... J'commence à avoir des rides sur le bord des yeux... Charlotte s'en est fait faire une pour moins de 20 000$. Faudrait que tu penses à faire de l'overtime un peu plus pour que je puisse me payer ça mon pitou... Tu voudrais pas que j'aie l'air d'une vieille grébiche, hein?

-Oui chérie... Je... je vais essayer de payer ça...

-Tu vas essayer ou tu vas payer?

-Je... hum... Oui...

C'est ce soir-là, justement, que Jean-Luc était parti sans plus jamais redonner de nouvelles. Charlotte prétendit l'avoir vu pêcher sur le bord de la rivière. D'autres racontèrent à Marianne qu'il était maintenant aide-cuisinier dans un restaurant de la Gaspésie. Ou bien qu'il avait rencontré un certain Jésus, fan du groupe de rock Nazareth, qui prenait toutes sortes de drogues.

Marianne était en furie qu'il l'ait quittée sans rien lui dire.

Elle se trouva un nouveau conjoint, propriétaire de garage celui-là, qui n'avait pas peur de faire des heures supplémentaires. Ainsi, Marianne pourrait sauver la face en plus de s'offrir une chirurgie pour ressembler à une joueuse de tennis sans faire d'efforts.

C'était une pauvre cloche, oui.

Mais que voulez-vous?

Nous vivons à une époque de pauvres cloches...



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