mardi 21 mars 2017

Mes quarante-neuf printemps

On compte parfois les années en printemps. L'expression s'emploie surtout pour les vieillards. Ça leur confère une illusion de jeunesse. Dire d'un vieux qu'il a quatre-vingts printemps le rajeunit par la magie des mots. Il n'en demeure pas moins un vieux, mais on imagine alors les oiseaux qui gazouillent autour de son chapeau pour y bâtir leur nid.

Je ne suis pas encore arrivé à un âge vénérable. Néanmoins, il m'arrive de me faire vouvoyer en plus de compter les printemps de ma vie avec un brin de nostalgie.

Le printemps est intimement relié à l'idée de renaissance. La vie reprend son cours après une trop longue hibernation. Tout ce qui se meut se met... Je sais, c'est vulgaire que de faire référence à se mettre pour désigner l'accomplissement du rut. Mais bon, je suis un peu vulgaire. J'ai grandi dans un quartier populaire et l'on n'a pas encore réussi à me transformer en gentil toutou pour pédants dénaturés.

La renaissance me va bien, cela dit. René était le patronyme de ma mère. Cela suppose qu'il y a des résurrections dans ma lignée familiale. Le premier René ne s'est pas appelé ainsi pour rien. Peut-être renaquit-il au printemps, comme Lazare, après avoir envoyé chier le roi, les curés et la papauté.

J'ai donc plusieurs printemps derrière moi et un peu moins devant j'imagine.

Les premières impressions qui me remontent à l'esprit, en songeant au printemps, sont intimement reliées à ma tendre enfance. Je me vois en bottes de caoutchouc les deux pieds dans l'eau. Je m'amuse à créer des rigoles, des barrages, des lacs. Je vois mon père cigarette aux lèvres sortir la neige de la cour pour qu'elle s'assèche au plus vite.

Je me vois aussi en train de jouer aux billes. Aussitôt que la boue avait séchée, il nous était loisible d'y jouer en faisant des trous où elles ne risquaient plus de se noyer.

Quand les rues étaient dégagées de toute neige, nous obtenions l'autorisation parentale de sortir nos vélos. C'était le sacre du printemps. Tabarnak que nous étions heureux de retrouver notre véhicule pour nous rendre à l'école et faire des mauvais coups le soir avec nos camarades de ruelle. On pourrait bientôt jouer à l'enfer mécanique dont les règles étaient fort simples: une équipe à pied et une autre montée sur des vélos. L'équipe en vélo devait écraser symboliquement les piétons jusqu'au dernier en les touchant un peu beaucoup avec la roue de devant pour qu'ils soient morts. Les rôles étaient intervertis ensuite. Les cyclistes devenaient piétons et les piétons cyclistes. On ne comptait pas les blessures, bien entendu, mais nous apprenions à devenir des adultes stupides comme tous les autres.

Puis les années passèrent. Le printemps prit une autre signification. Je finis par remarquer que les femmes montraient leurs jambes et provoquaient en moi des émotions difficiles à contrôler. La grâce du printemps appelait la beauté. Il ne restait plus qu'à savoir comment faire, comment plaire, comment roucouler quoi!

Le printemps voulut aussi dire qu'il faudrait bientôt se trouver un emploi d'été afin de ne pas en profiter.

D'autres impressions s'ajoutèrent au fil des années.

Le printemps ramène les oiseaux migrateurs.

Le printemps sent la crotte de chien et le pipi de chat qui dégèlent.

Le printemps est toujours hâtif à Vancouver.

Le printemps est propice au rhume, à la grippe et à la gastro-entérite.

Les premières fleurs que l'on voit pousser au printemps sont les pissenlits. Surtout dans les quartiers pauvres. Ce qui fait du pissenlit mon emblème floral pour ne jamais avoir à renier mes origines, ma famille et mon clan.

Je pourrais aussi faire référence à Vivaldi, à Stravinski et même à Botticelli.

Et je m'en voudrais, évidemment, d'oublier le plus fantastique printemps de ma vie: le printemps érable. Ce furent les plus grosses manifestations de l'histoire du Québec. J'étais dans la rue pour défier la loi spéciale. Je n'aurais cru voir ça de mon vivant. Les gens qui sortaient sur les balcons dans les quartiers ouvriers de Trois-Rivières pour saluer les manifestants de hourras bien sentis. Il régnait une atmosphère de libération, la fin de la résignation devant la mafia libérale et le capitalisme sauvage...

C'est tout ça le printemps.

Et bien plus encore.

Et c'est aujourd'hui que ça débute pour vrai dans le calendrier.



Le printemps de Botticelli


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