dimanche 5 mars 2017

L'art de lâcher un gros pet

-Le thé est exquis, n'est-ce pas ma très chère?

-Oui, il est tout à fait exquis.

Slurp, slurp firent les deux bouches en avalant le thé.

Cependant la marquise lâche un petit pet à se seconde gorgée. Un petit pet à peine audible. Un pet qui eût été presque silencieux n'eût été du silence sépulcral qui régnait déjà dans le boudoir.

-Ma très chère, je crois que vous avez pété...

-Je n'ai aucunement pété! Voyons Gontran! Me prenez-vous pour une péronnelle?

-Pas du tout ma très chère... Mais il me semble bien avoir entendu un bruit émanant de votre derrière... Un genre de pffuuit.

-Je n'ai pas fait pffuuit Gontran! Vous vous méprenez!

-Ah bon... J'ai pourtant la nette sensation d'avoir entendu ce pffuit sortir de vos entrailles ma très chère...

-Sapristi! Je vous prie d'avoir un peu plus de classe et de distinction mon très cher... Je n'ai jamais fait pffuit...

-Et cette odeur? Il me semble vraiment sentir une odeur désagréable... Quelque chose comme des moules au vin blanc à l'ail oubliées pendant deux semaines dans une assiette sale... Ne sentez-vous pas cette mauvaise odeur Constance?

-Je ne sens rien du tout! Et j'ai pourtant un odorat très fin. Je pourrais dire à cent pas le type de parfum qu'utilise l'épouse du Premier ministre... C'est d'ailleurs un parfum de Lise Wattier, tout simplement. Je la croyais plus distinguée... Elle n'est encore qu'une roturière... Vous savez que son père n'était qu'un chauffeur de taxi?

-Je veux bien vous croire Constance... Mais franchement, je dois me pincer le nez... Cela sent vraiment mauvais... Comme s'il y avait un cadavre dans la pièce...

-Attendez... Je renifle... Non, rien. Je ne sens rien. Auriez-vous mangé de l'ail ce midi?

-Quoi? Très chère Constance, vous supputez que mon haleine serait chargée de cette odeur pestilentielle qui, sans vouloir vous offusquer, ne saurait provenir que d'un pffuit presque silencieux? Vous savez comme moi que ces flatulences que l'on entend à peine sont souvent les plus à craindre... Je vous dirais même que j'ai comme l'envie de déglutir sur la moquette mon repas du midi qui, par ailleurs, ne contenait aucunement de l'ail sous quelque forme que ce soit. J'ai mangé seulement une soupe au poulet puisque je me sentais encore lourd du repas d'hier... Mais vous, Constance, dites-moi, auriez-vous mangé des moules au vin blanc et à l'ail?

-Ah! Suffit! Puisque je vous dis Gontran que je n'ai pas pété! Vous devriez avoir cette délicatesse de me croire sur parole! Enfin!

-Vous avez dit pété? Ne serait-il pas plus approprié d'employer l'expression produire un vent? Cela me semble nettement plus distingué... Même si le résultat est le même: ça sent bigrement mauvais!

Constance en avait assez. Elle se leva d'un coup sec pour mieux lui démontrer sa grande exaspération. Malheureusement, cette levée soudaine provoqua un dégagement instantané du méthane contenu dans ses viscères. Par conséquent, c'est un très gros prout qui résonna dans toute la pièce. Un prout qui eut une durée de cinq secondes bien chronométrées.

-Prrrrrrrrrrooooooooooooorrrrrroooorrooorrrrruuooout-wow-wow-out!

-Constance! Qu'est-ce que cela? Ai-je bien entendu???

Constance était rouge de honte, évidemment.

Elle courut vers la salle de bain où elle termina de vider son ventre ballonné de flatulences devenues incontrôlables. On aurait cru que Dresde se faisait bombarder.

Puis elle revint avec un vaporisateur de parfum à l'orange et à la camomille pour dissimuler l'odeur de moule avariée qui flottait dans le boudoir.

Gontran avait peine à respirer sous sa main qui était sensée de le protéger de cette odeur pestilentielle.

-Vous aurez réussi à gâcher même ce thé! Bon sang! Que tout cela me semble inconvenant!

-Je m'excuse Gontran... Je suis pétrifiée de honte! Jamais je n'aurais cru me laisser aller avec autant de vulgarité au cours de ma vie... Je dois absolument consulter un médecin... ou un pharmacien à la rigueur... Si cela m'était arrivé devant l'épouse du Premier Ministre, de quoi j'aurais eu l'air? D'une vraie paysanne... Ah! Je me déteste! Dites-moi que vous saurez me pardonner... Dites-moi que vous n'en direz rien... à qui que ce soit... Même pas à nos domestiques! J'ai tellement honte!

***

Pendant ce temps, Maude et Thérèse préparaient le repas dans la cuisine pour les maîtres de la maison. C'était une soirée très spéciale puisqu'on allait recevoir le Premier Ministre et son épouse. Maude avait cru bon de servir des moules au vin blanc et à l'ail puisque le couple gouvernemental appréciait le poisson et les fruits de mer autant que leurs maîtres.

Maude n'arrêtait pas de péter.

-Tabarnak! J'ai l'trou d'cul slaque à souère...  Prout! Paf! Crack!

-T'es mieux d'péter icitte dans 'a cuisine que d'el' faire devant les patrons pis les invités... Tu sais comment c'qu'i' sont pognés dans leu' shorts les tabarnaks... Moé 'ssi, calice, j'arrête pas d'chier... Prrrout! Hostie j'en ai mal au trou d'cul tellement que j'pète... Ça va-ti s'arrêter ciboire?

-Ça doit être les christs de champignons d'à midi... Moé quand j'mange des champignons j'pète ma vie étole de viârge!

Ça sentait la marde dans la cuisine. Les patrons ne venaient jamais dans cette pièce, fort heureusement. Maude et Thérèse pouvaient se vider de leurs gaz sans se faire chier par des leçons de bienséance qui finissent par te faire pourrir du dedans.

-Les patrons, tu 'es entends rarement pété... Mais la Constance eut'lâche des hosties d'pet silencieux tout l'temps pis A' fait semblant qu'c'est pas elle la torrieuse... A' sent l'Yab... Hostie qu'A' pue.

-Ouin... Pis Gontran beurre tout l'temps ses shorts... Je l'sais, c'est moé qui 'es lave... I' pensent qu'i' sont des dieux, à les entendre parler, mais i' chient, i' pètent pis i' sentent la marde comme tout l'monde.

-Prrrrrout! répliqua Maude avec son cul. Tiens! J'leu' crisse ça entre les dents!

-Moé 'ssi! Prrrrrrrout! péta Thérèse. Qu'i' s'abriyent avec ça!

La morale de cette histoire? Elle est pourtant bien évidente. Les apparences sont toujours trompeuses. Il y a plus de liberté chez les esclaves que chez les maîtres qui se croient au-dessus de tout et n'arrivent même pas à libérer leurs intestins. Pas besoin de relire Les bonnes de Jean Genet.

 Je suis convaincu que vous l'aviez comprise, cette morale. Ce qui fait de cette fable un récit inutile, probablement grossier et sans doute scatologique.

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