jeudi 16 mars 2017

La supériorité morale de l'humanisme

Il s'en trouvera pour considérer l'humanisme avec le même mépris qu'ils affectent face à une religion ou bien une idéologie politique déterminée. L'humaniste comprendra que même ce mépris a quelque chose d'humain.

Ce qui n'est pas une raison pour le cautionner. Comprendre n'est pas un signe d'approbation. C'est plutôt une marque de respect pour les idées des uns et des autres, aussi déplaisantes qu'elles puissent être. Voilà pourquoi un humaniste digne de ce nom accordera à tout un chacun, même aux moins méritants, une occasion de se reprendre, de trouver une forme de rédemption au sein de la communauté qu'il aurait momentanément défiée. Plutôt que de punir, l'humaniste préfère éduquer. Plutôt que de hurler avec les loups, l'humaniste veut apprendre, comprendre et guérir les réprouvés sociaux accidentels ou volontaires. Il n'y a pas de condamnation pour toujours pour un humaniste. Il y a toujours un espoir de s'extirper des ténèbres de l'esprit et d'atteindre la lumière au bout du tunnel.

J'ai l'impression d'entendre un curé lorsque je me lis... Il est vrai que l'humanisme nous confine en quelque sorte à un rôle de sermonneur qui affiche une forme désagréable de supériorité morale. Pourquoi l'humaniste aurait-il raison de préférer la paix, la réinsertion sociale des laissés-pour-compte, la rééducation des criminels, le refus de l'esclavage et de la peine de mort? N'est-il pas naïf de croire que l'on peut faire du propre avec de la saleté, avec ces barbares qui ne méritent que d'être éliminés?

L'humanisme n'appartient pas à un camp ni à une école de pensée. Il ne pense pas qu'on peut purifier le monde en coupant une, dix ou vingt milles têtes.

Il est disséminé un peu partout parmi les êtres humains. Et pas nécessairement parmi les plus propres. 

J'ai visionné récemment L'Île, un film de Pavel Longuine mettant en vedette son acteur-fétiche, Piotr Mamonov qui tient le rôle d'un ascète orthodoxe qui vit sur une île et dort sur un tas de charbon. Je ne vous raconterai pas tout le scénario pour ne pas vous vendre le punch. Je vais simplement vous rapporter que cet ascète est réputé pour sa bonté et sa vie sainte. On lui prête plein de vertus qu'il refuse. Au fond de lui-même, le moine sait pourquoi il est devenu ascète. Le moine a été forcé de tuer un homme pendant la Seconde guerre mondiale. Cet homme était son camarade de combat. Il se considère depuis comme le plus méprisable des hommes et attend de Dieu un signe de pardon, c'est-à-dire sa rédemption. Et il l'attend sur son tas de charbon, comme la plus vile créature qui soit sur Terre.

Cet homme qui se sent coupable est bien plus humain que tous ceux qui n'éprouvent aucun remords. C'est d'ailleurs le propre de la culture russe que d'explorer ces zones psychiques où l'homme réclame d'être délivré de son fardeau moral. Ainsi, dans Les récits d'un pèlerin russe, un récit anonyme du XIXe siècle, le pèlerin ne connaît qu'une seule prière qu'il répète cent, mille et un million de fois: Seigneur aie pitié de moi...

Cela rappelle en quelque sorte la parabole du pharisien et du publicain tirée de l'Évangile selon Luc. Le pharisien lève les yeux au Ciel et se vante auprès de Dieu de ne pas être un ravisseur, un injuste, un adultère et un publicain. Pendant ce temps, un publicain se tient dans le fond et se frappe la poitrine en se considérant le plus pitoyable des hommes. Dans cette parabole, eh bien c'est ce publicain qui est le plus près de Dieu, c'est-à-dire de l'idéal moral promut par le Christ.

Toutes ces références pourraient vous laisser croire que je suis un croyant. Ce n'est pas le cas. Enfin, pas tout à fait. J'accorde aux uns et aux autres que je crois en l'amour, pour ne pas dire en l'humanisme, et que cela ne repose pas tant sur la raison que sur une inclination du coeur. En ce sens, je rejoins sans doute les croyants. C'est mon paradoxe. Un paradoxe digne de l'athée Tchekhov pour rester dans le thème de ma russophilie. Je suis un incroyant qui croit en l'amour de son prochain...

L'homme qui connaît le mal qui est en lui se trouve dans la voie qui mène à sa rédemption.

L'homme qui reconnaît ses torts, ses abjections, ses défauts, cet homme-là aura trouvé le seul chemin qui soit pour atteindre la beauté et l'éveil spirituel.

L'humanisme n'appartient pas à une religion ni à une idéologie politique. Je sais que je me répète mais je dois le faire comme l'on récite une prière pour faire fuir nos démons intérieurs.

La grâce peut toucher des conservateurs comme Charles Dickens ou Fedor Dostoïevski qui trouvent les mots pour dénoncer la pauvreté et l'humiliation des pauvres gens. Elle peut s'exprimer par la voie d'un autre conservateur catholique, Georges Bernanos, auteur qui sombre malheureusement dans l'oubli à qui l'on doit Les grands cimetières sous la lune, récit dérangeant d'un bon catholique qui s'insurge contre ses coreligionnaires catholiques qui soutiennent les phalangistes de Franco qui tuent sans vergogne des syndicalistes et des communistes. On trouvera aussi cet humanisme chez Panaït Istrati, un compagnon de route du communisme qui refuse de fermer les yeux face aux horreurs du stalinisme. Et même chez Albert Speer, un officiel nazi qui reconnut ses crimes et son aveuglement au contraire de ses coaccusés du procès de Nuremberg qui ne trouvaient rien à se reprocher. Il n'y a ni gauche ni droite pour un humaniste. Il y a les hommes et les femmes, la solidarité, le pardon et la rédemption.

L'humanisme suscitera sans doute quelques sourires narquois ici et là.

Il ne faudrait pas s'en soucier outre mesure en tant qu'humaniste, en tant que porteur d'une authentique supériorité morale.

Et il ne faudrait surtout pas avoir honte de servir la bonté et la beauté dans un monde qui, à plusieurs égards, s'enfonce dans la laideur et la dureté.


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