jeudi 30 avril 2015

Le Père Colateur a mangé une volée

Bob ramasse des bouteilles et des canettes vides tôt le matin dans les rues de Trois-Rivières. C'est un grand gaillard qui sait à peine lire et écrire. Il boite d'une jambe et se plaint d'affreux maux de dos qu'il soigne avec de l'aspirine. Il complète son traitement avec des bouts de joints qu'il récupère sur les trottoirs devant la sortie des bars du centre-ville.

-El' monde jette leu' choux gras mon Guétan! Moé ej' me lève tous 'es matins d'bonne heure pis ej' trouve toutte c'qu'i' m'faut dans 'a rue. Des bouteilles vides, des bouttes de joints, des fois des vingt piastres roulés pis même des sachets d'poudre... Ej' me trouve même du parfum dans 'es poubelles d'la pharmacie... Drakkar Noir qu'ça s'appelle... Tu sens bon en tabarnak avec ça... C'est pas parce que t'es un trou d'cul qu't'es obligé d'puer... Pis ej' trouve aussi des pâtisseries dans 'es poubelles des épiceries pis toutes sortes d'affaires de même... J'va's jamais charcher d'la bouffe à 'a banque alimentaire, moé, parce que c'est pas mal plus frais c'que j'trouve dans 'es poubelles. Tu veux-tu une barre de chocolat? C'est du chocolat qui coûte cher... Du chocolat d'la Belgique tabarnak... Check ça Guétan... T'en veux-tu, hein?

Bob me montre une barre de chocolat Lindt. Comme je suis un peu bec fin je refuse de la lui prendre prétextant que je me fais un régime sans sucre en parfait faux-cul que je suis.

Puis Bob me parle d'un autre ramasseux de bouteilles vides et de mégots, le Père Colateur qu'il se surnomme, parce qu'il mendie du café à tous les paumés de la ville. C'est un vieux bonhomme d'à peu près soixante-huit ans qui porte un manteau d'hiver même l'été puisqu'il souffre de rhumatismes sévères.

-Le Père Colateur a mangé une hostie d'volée c'te nuitte, Guétan. T'as entendu parler des jeunes crottés qui volent du monde à trois heures du matin dans l'quartier St-Philippe? Ej' pense que c'est les mêmes qui ont crissé une volée au Père Colateur. I' faisait sa run dans l'stationnement étagé du centre-ville quand c'te gang de pleins d'marde sont tombés dessus. Ils lui ont faitte les poches pis quand qu'i' ont vu qu'i' avait rien, i' l'ont fessé dans face, dans l'ventre pis partout toé chose. Le Père Colateur en a mangé une calice... I' saignait quand y'est arrivé chez Mononcle Lafond, mon voisin, t'sais el' gars qui s'promène en bicycle à trois roues... Mononcle Lafond y'a callé l'ambulance mais l'ambulance pensait que l'Père Colateur s'était faitte ça lui-même en se saoulant la yeule comme d'habitude... Mononcle Lafond y'a sacré après eux autres pis y'ont fini par emmener el' Père Colateur à 'pital... Cibouère de chiens sales les ceusses qui lui ont crissé une volée... Ej' me traîne tout l'temps un couteau à dépecer su' moé... Qu'i' viennent s'essayer avec moé m'en va's t'les ouvrir de haut en bas les étols de viârge!

Bob a déjà travaillé, évidemment. Je dis ça pour ceux qui ont l'habitude de mépriser les itinérants ou bien de les battre à mort. Il a travaillé pour une compagnie de textile jusqu'à sa fermeture en 1986. Depuis, il s'est appauvri un peu plus chaque année, au point d'en perdre la santé et un petit peu de sa raison. Qui voudrait engager ce gaillard de soixante-trois ans? Personne. Il en a fait son deuil. D'autant plus qu'il ne changerait pas de vie. Sa vie, il la conçoit comme la meilleure qui soit.

-Moé j'ai pas d'femme, pas d'enfants à faire vivre, rien. Ej' dépends de parsonne pis parsonne dépend d'moé... Mon chèque est pas gros, mais j'compense avec les bouteilles vides, les vingt piastres roulés par les sniffeux d'poudre que j'trouve su' 'es trottoirs pis toutte c'que j'peux r'vendre de c'que j'trouve dans 'a rue... Heille! J'ai même trouvé une chaîne en or de plusieurs carats. J'ai été vendre ça au pawnshop... J'ai eu trente piastres pour ça... J'me suis acheté un gramme de pot pis du steak haché... J'fais quasiment une semaine avec un gramme de pot pis du steak haché... Oui monsieur... T'es sûr que tu veux pas du chocolat? Y'est bon en tabarnak!

-Merci Bob... J'digère pas l'sucre... Salut Bob... Prends soin d'toé... Bonne journée...

-Bonne journée mon Guétan... Pis r'garde à terre su' 'es trottoirs... J'te l'dis tu pourrais trouver vingt piastres! Ha! Ha! Ha!


2 commentaires:

  1. Je reviens du " carafon ", et je vois ce texte sur ton blog -
    Le " carafon " est un petit bar de Sète où nous allons , avec ma brune , boire de temps en temps un ptit rosé , où nous aimons ces gars et ces filles un peu naufragés de la vie mais qui ont le cœur généreux .
    Notre pute de président de la république française , François Hollande / qui ose ( quelle honte ! )s ' auto-proclamer " socialiste " , ce salaud , donc , appelle tous ces pauvres frères et soeurs : les " sans-dents ".
    Je vous livre cette anecdote qui a fait beaucoup de bruit ici , révélée par son ex-compagne Valérie Trierweiler , parce que vous n ' en avez peut-être pas entendu parler à Québec -
    Mais je voulais surtout parler de ces merveilleux frères et soeurs du Carafon : je les regardais ce soir , et à toutes et tous je trouvais quelque chose dans le regard ou le sourire , quelque chose de l ' émerveillement de la vie et de la générosité - quelque chose que je ne trouve jamais dans le regard ni le sourire des gens riches - Un amour sans limites -
    Merci les amis du Carafon , les amis de Québec , Gaétan , et les tiens -

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  2. Bien dit Monde Indien. Ça me va droit au cœur. Il y a plus d'amour chez les pauvres que chez les socialistes de salon qui se servent d'une cause dans l'unique but de favoriser leur ascension sociale. Du pareil au même des plages de Seth jusqu'au port de Trois-Rivières.

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