jeudi 19 mars 2015

Jacques Bérubé alias Jack Be-Cool

Il en est des langues comme il en est des cheveux. Les blondes et les blonds qui se teignent en noir se sentent toujours épiés par ceux qui pourraient démasquer la couleur d'origine de leurs poils. Ils croient épouser une couleur de cheveux alors que la repousse les trahit constamment. Il est difficile de cacher ses racines capillaires autant qu'il l'est de dissimuler ses racines culturelles.

Jacques Bérubé aimait se faire appeler Jack Be-Cool parce que cela faisait plus anglais. Ses cheveux noirs étaient teints en blond pour se conférer un air caucasien qui, par ailleurs, ne lui allait pas très bien. Il n'avait pas toujours le fric pour s'acheter de la teinture et ses cheveux finissaient par dévoiler deux couleurs. Pour pallier à la situation, Jack se les blanchissait au peroxyde, ce qui lui chauffait horriblement la tête.

-It sores quand tu veux être nice, qu'il se disait pour justifier sa douleur.

Cet énergumène de dix-huit ans n'était ni grand ni gros. Jack était moyen en tout et n'aspirait qu'à être comme tout le monde, c'est-à-dire blond aux yeux bleus et anglophone. Malheureusement, il provenait de Baie-Comeau et portait les gênes d'une famille québécoise métissée de Français, d'Innu et de Micmac. Les traits de son visage étaient plutôt de type aborigène, avec des pommettes bien gonflées, un nez droit et aquilin ainsi que des yeux légèrement bridés. Il étudiait en comptabilité au Cégep du Vieux-Montréal et détestait, vous vous en doutez bien, l'image de loser que lui renvoyait son miroir. Comment allait-il réussir dans la vie avec sa gueule et son accent de métèque?

-Je veux becoming someone, qu'il répétait souvent en inspectant son cuir chevelu brûlé par le peroxyde. Je just want pas devenir un ass-hole.

Le pauvre Jack ne connaissait malheureusement que des bribes d'anglais et n'aurait pas été capable d'entreprendre une vraie conversation dans la langue de Bill Gates. Il ne comprenait pas la moitié de ce qui se disait ou s'écrivait en anglais. Cependant, il avait appris à faire semblant en hochant de la tête chaque fois qu'un gus lui disait quelque chose en anglais.

-Yes, yes, yes. All right. It's a shitty place. Fuck that. 

Jack ne mettait évidemment aucun effort pour bien parler et bien écrire le français, cette langue de perdants, de nuls à chier et d'incapables qui ne font que brailler tout le temps pour préserver des chansons ou des films que personne ne veut voir et entendre.

Son groupe préféré, Full Shit For Everybody, chantait en anglais. Son film préféré, Total Gore, était un film anglais. Et c'était idoine pour sa pin-up préférée, une anglaise surnommée Red Princess Layla. Pourquoi le français existait-il? Pourquoi ces professeurs l'emmerdaient-ils constamment avec Émile Nelligan ou Luc what-the-fuck Plamondon pour ne nommer que ceux qu'il avait retenus.

-They speak même pas anglais, qu'il disait, Jack, en tournant les mèches de ses cheveux feints en blond.

Vu de l'extérieur, on comprenait que Jack n'était pas encore devenu lui-même. Il était l'expression de son époque, bien entendu, et ressemblait à tous ses amis qui, comme lui, détestaient profondément leur statut de colonisé. Ils aspiraient à s'accaparer la culture des conquérants avec plus ou moins d'aisance, ne réalisant pas qu'on ne respecte généralement pas ceux qui ne se respectent pas eux-mêmes.

Encore quelques années et Jack Be-Cool redeviendra Jacques Bérubé. Ses cheveux noirs de jais ne seront plus teints en blond et sa langue sera soit celle du conquérant ou bien celle de ses parents, puisqu'on ne peut pas vivre toute sa vie entre deux chaises, une position inconfortable qui mène tout droit à celle de loser dans n'importe quelle langue ou coin reculé du globe.

***

Il peut sembler ringard d'adopter ce point de vue. Ça l'est sans doute un peu. L'auteur de ces lignes se fait vieux et ne comprend plus son époque. Peut-être qu'il serait dû pour un long repos dans une cabane de bois isolée de la dégénérescence de sa culture...




4 commentaires:

  1. Tristesse or not tristesse ?
    Où les cultures ne sont plus identifiées à des sols , où les peuples ne sont plus identifiables à des cultures . Mais , des gens à des cultures .
    Bienfaits et méfaits des échanges entre les peuples qui valent moins que les cultures qui s ' y révèlent - ce sont les cultures - et plus les peuples - qui peuvent rassembler : c ' est sans doute mieux ainsi -
    Effet de la mondialisation , de la communication , d ' internet , du " progrès " /// Mais : où nos groupes pourront pourtant se démarquer - il se peut que nous puissions nous identifier dans des cultures semblables en dehors des processus technologiques nouveaux - et pourtant grâce à eux .
    Alors , je dis que c ' est plutôt un bienfait : " not tristesse " .
    " Great Happyness " for all of us !!!

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  2. Je vous donne ce lien pour une magnifique chanson de Dick Annegarn : " Transformation " , un chanteur belge vraiment CooL -

    https://www.youtube.com/watch?v=d3EiFQJdNJU

    ( le clip est pas terrible - mais la chanson , ... )
    Il a fait d ' autres chansons vraiment sympas : " sacré géranium " , " tout seul dans ma grotte " .. etc
    Et puis , " Le Père Ubu " ( cf Alfred Jarry ) :
    https://www.youtube.com/watch?v=4Q8OoIZOyG8&list=PLA291D2E8BF34120C&index=3
    Amitié , Peace and Love à toutes et tous - Charles de Sète -
    ( http://mondeindien.centerblog.net/

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  3. Allé , un pti der' : ne te sens pas vieux - la vieillesse n ' existe pas: c ' est eux / elles , les vieux-vieilles !

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  4. Il est cool ton Dick Annegarn. Je le préfère, de loin, à Dick Rivers. Il fait moins ringard.

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