dimanche 12 juin 2011

Le Ventru, l'éventré et le gras-double

Trois-Rivières est à plusieurs égards une mine d'or pour l'écrivain amateur. L'écrivain professionnel, quant à lui, préfère se préoccuper des petites mousses entre ses orteils avec un vocabulaire qui fait en sorte que personne ne lit vraiment Léon Bloy.

L'écrivain amateur, comme tout néophyte, s'émeut d'un rien et tout autant d'un moins que rien. Comme il ne fait pas encore profession de littérateur, il croque ses sujets parmi les sans-culottes et les croquants, partout où il se trouve. Et s'il se trouve à Trois-Rivières, oua, vraiment il n'aura pas à chercher longtemps. Trois-Rivières est une vraie cour des miracles. C'est la capitale de la Mauricie et tous les services y sont concentrés. Ce qui fait qu'on s'y accroche pour survivre, comme s'il s'agissait d'une bouée. Vagabonds, poètes et flibustiers s'y retrouvent pour passer du bon temps auprès du fleuve Magtogoek et de la belle rivière Tapiskwan Sipi.

Vendredi soir dernier, Jocelyn Vermette dit le Ventru, écrivain amateur aux heures des autres, s'en allait au Super Calice du boulevard de la rivière Saint-Maurice pour s'acheter du pain, du lait et des oeufs.

ll était dix-sept heures trente-deux. Et des tas de corneilles volaient en craillant tout autour des clochers de l'église de la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Allégresses.

-Craille! Craille! qu'elles graillaient, les tabarnaks.

-Craille! s'est dit le Ventru. Y'a des corneilles à souère! Craille de craille!

Comme il se disait ça, voilà que surgit un gus avec une calotte de baseball qui bat des ailes en craillant.

-Craille! Craille! qu'il graille, lui aussi, comme un type qui ne semble pas avoir toute sa tête.

-Ahem, lui répond le Ventru.

-Tantôt, les corneilles volaient autour du foyer pour vieux, ajoute le gus. Ça, ça veut dire qu'i' va y avoir d'la mortalité, qu'il poursuit en prenant un air occulte.

-Ah bon, se contente de lui dire le Ventru.

Les corneilles graillent comme le craille. Et saint-craille, le gus continue de crailler tandis que le Ventru s'en va au Super Calice.

Le Ventru s'achète du pain, du lait et des oeufs.

Puis il sort du supermarché avec son petit sac de plastique jaune pas recyclable.

Et que voit-il en sortant?

Le gus qui craillait gît sur le sol, éventré, et ne craille plus. Une auto lui est rentrée dedans pour ensuite lui reculer dessus. Ce qui n'a rien d'étonnant puisque les gens ne savent pas conduire à Trois-Rivières. Ils ont tous la rage au volant et le feu au cul. Ils se comportent en mongols sur la route, vous coupent n'importe quand, n'importe comment, et écrasent volontairement les piétons.

Dont le gus éventré qui craillait. Et qui ne craille plus.

Les corneilles tournaient encore autour de l'église de la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Allégresses.

Le Dunkin' Donuts était fermé depuis quatre ou cinq mois.

Le séminaire Saint-Joseph s'était doté d'un tout nouveau stade de football.

Et le Ventru rentra chez-lui, loin dans Ste-Cécile, croisant au passage un autre gus en bedaine aux chairs mollasses et flasques, un gras-double qui marchait pourtant avec la fierté d'un guerrier. Comme quoi la vie reprend toujours le dessus sur la mort, quoi qu'on en pense.

1 commentaire:

  1. bien morale, ta petite fable. Morale sans moralisme, c'est ça qu'est bien.

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