Ovide Plouffe disait à tort qu'il n'y avait pas de place nulle part pour tous les Ovide Plouffe du monde entier.
Oui, Ovide, il y a une place pour les intellectuels. Elle n'est pas évidente à trouver. Surtout au sein de la classe ouvrière. Un intellectuel y passe pour un emmerdeur. Celui qui connaît les gens d'en face et qui pourrait servir tout aussi bien les deux camps. Ce qui fait qu'on le laisse seul avec l'impression qu'il n'y a pas de place pour lui.
Pourtant, des types comme Ovide Plouffe ont leur place. Il ne leur suffit que de la prendre.
Évidemment, certains critères échappant au domaine de l'intelligence peuvent faciliter cette prise d'emplacement, à tout le moins cette prise de parole.
Valentin Bournival était un intellectuel qui provenait d'un milieu modeste. Ils étaient les plus riches des pauvres sur sa rue. Il est vrai que ses parents n'étaient pas alcooliques. Tout allait pour le frigidaire. Ce qui fait que les Bournival avaient le teint rose et poussaient comme des bouleaux, avec l'écorce sensible et le coeur plein de sève.
Les Bournival aimaient les livres. Ils se disaient que les bourgeois pouvaient tout s'acheter sauf de la culture. Ce n'est pas tout à fait vrai. Mais ça leur faisait du bien de penser ainsi.
Quand ils ne pensaient pas ainsi, ils jouaient au football. Frères et soeurs, père, mère et grands-parents.
Les Bournival étaient des gens de party. Tu mettais un ballon de football au milieu de la cour et tout le monde courrait après pour s'en emparer. Tout le quartier se rameutait. Et ça finissait en partie de football sans protection.
Ça se bûchait dessus dans la cour du Séminaire, le soir, après que les fils de bourgeois soient rentrés à la maison.
Jusqu'à ce qu'un agent de police les prie d'aller jouer ailleurs, parce que c'était un terrain privé et patati et patata.
Ailleurs? Il n'y avait pas d'ailleurs. Tout était bétonné et asphalté dans le coin, hormis dans la cour où s'amusaient les fils des bourgeois, avec des gradins, tiens, et un vrai terrain de football.
Ce qui fait que les Bournival sont passés du football interdit au Séminaire aux claques sur la gueule permises dans les ruelles sombres du faubourg au beurre de pinotes, là où même les lois s'essoufflent.
Valentin appris autant des livres que des claques sur la gueule.
Aussi, il n'avait pas honte d'être un intellectuel et croyait fermement que toute la place devait revenir aux Ovide Plouffe du monde entier, tant qu'ils ne pèteraient pas trop les plombs.
Valentin Bournival ne se laisserait pas écraser.
Il proférait sa foi en l'intelligence en toute occasion, qu'on le veuille ou non. Il se disait que ce n'était pas en ayant honte d'être soi-même qu'on se fait respecter.
Chaque fois qu'un rustre faisait des remarques disgracieuses sur les «ethnies», Valentin Bournival n'attendait pas une ni deux pour réduire ses propos en poussière.
-Les racistes sont des hosties d'cons! Des ignorants bourrés d'ressentiments. Des tarlais. Des hosties d'niaiseux pleins d'marde. Leur p'tite logique de crétins m'donne juste envie d'dégueuler tabarnak! Ils vont toujours perdre les racistes parce que les bâtards comme moé sont jamais malades! Ch't'un Indien calice! Riez don' des Indiens aussi mes tabarnaks! Hein? Qu'est-cé vous riez pas des Indiens aussi mes sacraments?
Dix fois sur dix, les racistes se taisaient. C'est vrai que Valentin était une calice d'armoire à glace. Comme l'Indien dans Vol au-dessus d'un nid de coucous. Il en imposait, c'est certain, même s'il n'en était pas tout à fait conscient. Sa fiche technique ne comportait aucune défaite au plan purement physique, qu'il méprisait avec le flegme d'un Ovide Plouffe. Tout se concentrait sur le muscle le plus important du corps, le cerveau. Et il ne trouvait aucun fondement logique au racisme, insulte suprême à l'intelligence.
Valentin Bournival pouvait se montrer tout aussi fanatique lorsque l'on riait des béhesses et des pauvres. C'est comme si l'on riait de sa famille, voire de lui, puisqu'il n'a pas toujours fait fortune Valentin.
-Un bourgeois qui rit d'un pauvre, j'me dis qu'c'est nul mais qu'c'est presque de bonne guerre, qu'il disait souvent. Mais y'a rien d'pire qu'un pauvre qui méprise un plus pauvre que lui! Rien de pire qu'un kapo, un merdeux qui collabore avec les saigneurs pour tenir le peuple sous les barbelés. Si nous laissons ça passer, les enfants vont retravailler dans les mines à partir de l'âge de douze ans! Pendant qu'on crache sur les béhesses y'a des grosses fortunes qui viennent siphonner l'argent de l'État pour nous rappeler qu'nous sommes des hosties d'nuls!
C'était toujours sans réplique. Comme si Bournival prophétisait.
Il n'avait pas toujours raison. Il était parfois à côté d'la track. Mais son coeur était plein de sève, même s'il pensait un peu trop de la tête.
Il aurait dû devenir lutteur. Pas intellectuel.
Sacré Valentin!
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