J'ai vu Taf l'autre jour. Le vent froid du Lac St-Pierre soufflait fort à la croisée des rues des Forges et Royale. Si vous tapez Trois-Rivières et centre-ville sur Google je crois bien que la flèche vous envoie là. Comme elle y envoie tous les pauvres et rejetés de la Mauricie.
Dans le cas de Taf, eh bien je l'ai connu dans mon ancienne vie de directeur du journal de rue Le Vagabond. Il mendiait. Et il mendie encore. Il est toujours demeuré fidèle au squeegee ainsi qu'aux drogues. Ce qui lui a valu une belle flopée de tickets pas payés de Montréal à Québec en passant par Sherbrooke, Drummondville et finalement Trois-Rivières.
Heureusement, ses tickets c'est du passé à Trois-Rivières. Taf a observé à la lettre les conditions de sa libération conditionnelle. Dont celle de se pointer tous les jours à la pharmacie pour prendre de la méthadone. Un moyen de contrer son accoutumance aux drogues. Le buzz semble fonctionner. Mais Taf continue de mendier. Parce qu'il n'a pas de jobs et aussi parce qu'il se nourrit mal: pain tranché blanc industriel, petits gâteaux industriels et beurre d'arachides industriel sont les trois ingrédients de son alimentation.
Il voudrait travailler. Mais son employeur doit comprendre qu'il doit aller prendre sa dose de méthadone à la pharmacie tous les soirs.
Des restaurateurs lui ont offert de faire la plonge à temps partiel.
-Seize heures par semaine... C'est moins qu'mon BS... Pis qui qui va payer ma méthadone, hein? J'veux bien...
-C'est quoi qu't'aimerais faire Taf?
-Chauffer des camions à neige... Sauf que j'ai perdu mon permis y'a vingt ans... Faudrait que je r'passe le cours...
-Hum...
Que vouliez-vous que je dise à Taf pour remonter le moral à Taf qui mendiait? Rien. Alors je lui ai refilé mon obole.
***
Quelques jours plus tard, je revois Taf.
Il est épuisé, assis sur le bord de l'escalier d'une banque.
Il m'explique qu'il est allé au supermarché pour acheter du pain tranché et des brioches. Ce qui représente une marche d'une heure.
Taf n'avait pas mangé.
Il s'est senti les jambes molles. Puis il s'est assis sur le bord de l'escalier de la banque de Hong Kong.
Il était presque rendu chez-lui.
Je lui ai dit de manger tout de suite sa brioche plein de sucre puis d'aller se faire une prise de glycémie au CLSC. Je soupçonne Taf d'avoir fait de l'hypoglycémie puisque sa grosse cochonnerie sucrée l'a tout de suite requinqué.
-J'me sens mieux ciboire! Man! J'sais pas c'que j'avais...
-T'es peut-être diabétique Taf... Check ça calice... J'ai failli me faire botter un pied y'a trois ans...
-Ah ouais?... Brrr! C'est sûr que j'va's aller voir ça!
-Mange une autre brioche... Pis prends ça...
Je lui ai refilé quelque chose.
Puis Taf a repris son chemin, quelque part entre le bar de danseuses et la flèche qui pointe sur le centre-ville de Trois-Rivières sur Google.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire