jeudi 29 septembre 2011

La fausse sagesse incarnée de Daphné Malapart

La sagesse n'est pas autre chose que de ne pas devenir fou, stressé, complètement à côté de ses pompes.

Prenons n'importe quel homme de l'ère glaciaire et foutons-le au beau milieu d'une ville, avec le bruit des véhicules, le grondement de l'électricité et le sillement de toutes les sortes d'ondes dans lesquelles on baigne.

Eh bien il ne ferait pas mieux que la plupart d'entre nous, le troglodyte. Il deviendrait fou, stressé et complètement à côté de ses pompes. Comme quoi l'évolution prend du temps.

Quoi qu'il en soit, la sagesse nous incite à vivre autrement, n'est-ce pas?

Et la partie n'est pas facile.

Ne serait-ce que du fait de partager les mêmes ruines et de renifler les mêmes vapeurs méphistophéliques.

Ce n'est pas facile. Vous avez bien raison de le croire vous aussi.

Voilà pourquoi Daphné Malapart était la sagesse incarnée, enfin, presque ça...

Je vais vous revenir là-dessus...

Elle était toute menue, Daphné. Plutôt osseuse qu'adipeuse. Et pas vraiment jolie en fait.

Mais elle était super gentille, ce bout de bonne femme de quarante ans, attentionnée et plein d'enthousiasme pour aider les vieillards aveugles à traverser la rue.

Daphné, c'était de la bonne pâte, oui monsieur, et tout le monde l'aimait.

Tout le monde sauf la bonne femme Bilodeau, sa voisine, une grosse mégère de soixante-trois ans qui se plaignait toujours du fait qu'elle plaçait ses sacs de vidanges tout de travers dans le bac vert. Entre vous et moi, la Bilodeau est une grosse crisse qui crie pour rien. Elle ferait mieux de soigner son amphysème et d'écraser sa cigarette. Sa voix de cendrier d'outre-tombe est bien moins fréquentable que la jolie voix de pipeau de la Malapart.

Pourtant, Daphné n'en faisait pas de cas, jamais.

-Daphné cibouette! lui disait souvent la bonne femme Bilodeau. Place don' tes sacs à vidanges dans le bon sens dans le bac vert! Quand i' sont tout de travers, y'en rentre moins pis on n'est p'us capable de fermer l'couvert calvinousse!

-J'vais y voir, lui répondait gentiment Daphné qui avait les cheveux teints en rouge vif cette semaine-là.

Évidemment, Daphné avait la sagesse de ne pas vraiment se soucier de ce que lui disait la bonne femme Bilodeau.

Elle continuait son chemin en sifflant, toujours au service de celui-ci ou bien de celui-là.

Son chum, c'est drôle à dire, était le fils de la bonne femme Bilodeau.

Eh oui, Daphné était la brue de la bonne femme.

Ce qui fait qu'elle avait crissement raison de la laisser brailler toute seule avec ses calices de sacs de vidanges.

Daphné marchait sur les trottoirs ou bien dans les champs en sifflant des chansons joyeuses.

Elle pouvait respirer le monoxyde de carbone avec une certaine aisance.

Et oublier que tout était laid autour d'elle, la ville, le ciel, les gens.

Parce que les gens ne deviennent pas seulement fous.

Ils deviennent méchants aussi, dans les vapeurs méphistophéliques de l'ère industrielle.

Et ce qui devait advenir arriva.

Daphné péta les plombs. Elle péta sa coche comme on dit par chez-nous.

C'était pas plus tard qu'avant-hier.

La bonne femme Bilodeau se plaignait encore de ses hosties de vidanges.

-Là, là, Daphné, ç'a vraiment p'us d'bon sang! On s'crérait dans un vrai capharna-y-üm! Les sacs à vidanges tout croches, toé chose, tiens, jetés comme si l'on s'calissait d'toutte! Ah! Ça va vite! On n'prend plus l'temps d'faire bien les choses! Zoup! Les vidanges tout croches dans le bac vert! Pour voir si ça a d'l'allure! J'ai jamais vu ça! J'ai mon maudit voyage! Après ça qui c'est qui les replace, les sacs? C'est bibi! La bonne femme bibi, la Bilodeau va s'en occuper encore! Ben, ma p'tite fille, faut que t'apprennes à prendre tes responsabilités!!!

Et vous savez ce qu'elle a fait Daphné? Elle lui a roté dans la face. Elle venait de manger un truc grec avec du yogourt à l'ail et le borborygme n'en fut que plus puissant.

-Bweeee-aaaaaarp! It's for you my dear! qu'elle lui a répondu, Daphné, en lui rotant dans la face.

La bonne femme Bilodeau en a eu le souffle coupé. Comme si c'était l'insulte de sa vie. Dix secondes après elle téléphonait son fils sur son cellulaire pour se plaindre de sa brue, cette truie qui ne sait pas vivre.

***

Épilogue

Ça ne se fait pas ce genre de chose, bien entendu.

Mais Daphné n'est pas faite en bois.

Toutes les pressions de la civilisation ont passé à travers ce rot.

Depuis, plus personne ne croit vraiment qu'elle est la sagesse incarnée.

D'ailleurs il est plus sage de ne pas chercher à l'incarner. Survivre est bien suffisant. La vie n'en demande pas plus.

Ah! J'oubliais de dire que Daphné Malapart n'est plus avec le fils de la bonne femme Bilodeau.

Ils se sont séparés.

Ils vivaient en union libre, comme tout le monde quoi.

Qu'est-ce que ça peut bien foutre dans cette histoire?

Je me le demande.

Mais je l'ai ajouté au cas où ça servirait à quelque chose.

Écrire un conte, ce n'est pas toujours de la tarte.

1 commentaire:

  1. Tu m'étonnes, que c'est pas de la tarte ! faut-y qu'on soye fous pour aimer tellement ça, raconter des histoires à des gens....:))))

    Chacun a des limites, pas vrai ? pis la mère Bilodeau, a l'avait bien cherché, son rot dans la face, à force d'obsessionniser le sens des sacs à vidanges !

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