Ce matin, si j'étais digne, je dénoncerais avec force la dictature syrienne qui tire sur son propre peuple. Je le ferai, je le jure. Je ne prends certainement pas la chose à la légère.
Mais la vie m'entraîne aussi vers d'autres sentiers qui ne me semblent pas moins révolutionnaires et porteurs d'espoir. Encore faut-il y en avoir une illusion passagère matérialisée.
Baudelaire disait substantiellement de la nature qu'elle était un temple où de vivants piliers se promènent dans une forêt de symboles... C'est le lieu commun que j'ai retenu du poète. Pourtant c'est porteur de sens.
Le vrai temple, c'est la nature. Ce qui rend encore plus dégueulasse les génocides commis à ciel ouvert. Le temple ne vous demande pas ça, crétins d'humains. La nature est dégueulasse parfois, mais elle n'a pas votre imagination de crétins d'humains pour la rendre encore plus laide qu'elle ne l'est en réalité.
Aussi, rien n'est plus reposant qu'un lieu où règne l'absence de civilisation. Un lieu brut comme une forêt, une chute, un glacier. Je m'y sens instantanément plus grand et même meilleur. Je me branche sur le vrai poste de télévision en quelque sorte, le seul, l'unique canal qui soit pour transcender sa condition. Le canal pour capter, pour un moment timide et furtif, quelque chose qui s'approche de l'espoir et de l'éternité.
***
Grisoune, ma chatte de ruelle, est revenue mendier ses petites boulettes. Je lui en ai offertes, bien entendu. Mais avant que de se lancer sur la bouffe, elle est venue piquer un brin de jasette avec moi, dans le fond de ma cour. Elle s'est assise sur une chaise de jardin, comme moi, puis nous avons regardé ensemble le ciel, les arbres, le gazon, les moustiques. Au bout d'un certain temps, Grisoune a bayé aux corneilles. Puis elle s'est frottée sur ma jambe. Elle a grimpé sur mon épaule. Et, enfin, elle m'a raccompagné jusqu'au seuil de ma porte, où je lui avais laissé ses petites boulettes. Elle a commencé à manger seulement lorsque je suis rentré chez-moi. Eh bien Grisoune m'a enseigné la savoir-vivre ce matin.
-On n'est pas pressés... Wo... Wo.... m'a-t-elle miaulé. On va prendre le temps de se parler, de s'asseoir ensemble. J'vais pas juste bouffer pis me pourlécher. Viens-t'en, bon homme, on va regarder les oiseaux et je vais te montrer comment les chasser... Miaaaaaw! Zap! Miaaaaaaw!
***
Je termine de lire L'adolescent de Dostoïevski. Toujours cette dualité entre le bien et le mal, cet humour que l'on trouvait aussi chez Gogol, et surtout ce climat de jugement des âmes, d'auto-dérision, de transcendance.
Je débute la lecture de l'oeuvre intégrale de Varlam Chalamov. Les récits de la Kolyma tient plus de la littérature que du simple témoignage. C'est Dante dans un enfer qui fait passer celui qu'il a vu pour une version en livre de poche. Et je dis ça pour paraphraser Churchill après avoir lu
La jungle de Upton Sinclair, un roman sur la condition ouvrière aux États-Unis au début du vingtième siècle.
Avec les Récits de la Kolyma, nous avançons trente ans plus loin pour aboutir à une vision de l'enfer tout ce qu'il y a de plus froid, rationnel et mathématique. Et Chalamov raconte, raconte et raconte encore. Il en sort des récits fabuleux, poignants, lourds d'absurdité.
Et l'éternité, qu'il touche parfois, est là, dans le néant de la Kolyma, dans le fin fond de la Sibérie.
Je reviendrai sur le sujet.
Je retourne à la préparation de mon exposition. Mes plus beaux tableaux s'en iront encore comme des petits pains chauds. Snif! Snif! Et moi qui voudrais tous les garder pour moi seul...