mardi 11 juillet 2017

Chauffer sans permis de conduire

«Un anarchiste est quelqu'un qui respecte scrupuleusement de marcher sur les passages cloutés afin de traverser la rue.» Je vous cite de mémoire une parole que l'on attribue, de mémoire, à Georges Brassens. N'allez pas courir toutes les rues en répétant ce que j'attribue à Georges Brassens sans vérifier parce que je me dis que vous le ferez à ma place. Quitte à me le reprocher ensuite. Si j'ai raison, cela m'aura évité du temps à le gougueler. Je suis en train de vous parler les amis. Devrais-je interrompre cette conversation que j'ai avec mes lecteurs pour aller vérifier mes références? Ce serait vous manquer de respect. Au demeurant vous pourrez toujours me traiter de bougre d'idiot pour cette citation tronquée ou ne reposant sur rien de bien sérieux. On a beau marcher sur les passages cloutés autant qu'on veut que le piéton ne fait pas l'anarchiste. Au fond, je n'aurais jamais dû vous en parler.

Pourtant, cela sert d'introduction pour une anecdote qui m'est revenue à la mémoire tandis que je pédalais calmement dans mes souvenirs.

Il serait ridicule de ramener Billy Létourneau au niveau d'une simple anecdote. Cet homme a une personnalité si compliquée, si éloignée des normes considérées acceptables, qu'il est devenu pour moi une source inépuisable de récits déjantés. N'allez pas croire que je soutienne et cautionne tout ce qu'il fait. Ce n'est pas mon rôle. Ce n'est pas celui d'un écrivain à tout le moins. Donc, concluons que mon rôle consiste à rapporter aussi suavement que possible des réalités qui ne méritent pas d'exister. 

On les exprime qu'elles doivent tout de suite être réprimées pour que les choses ne soient pas corrompues par des outrages aux bonne moeurs sans lesquelles les fraises ne se vendent plus dix dollars le panier.

Billy Létourneau n'est pas anarchiste. Il est loin de ce système de pensée qui vous propose l'autogestion, la démocratie directe et des bacs bruns pour ramasser les matières organiques. Il serait plutôt anarchique. Aucune doctrine n'adhère à ce gars-là. Il n'est pas sans morale, mais il n'en fait pas l'étalage, ce qui le rend d'autant plus sympathique aux oreilles d'un écrivain, comme moi par exemple.

-Ça fait dix ans que j'chauffe pas d'permis... me lança-t-il tout de go, la première fois que je le vis, Billy Létourneau.

J'oubliais de vous dire que Billy Létourneau portait une casquette de baseball. Tout ce qui était en-dessous de cette calotte était un gars moyen, le visage rasé de près, qui s'aspergeait d'Aqua Velva et portait des Tee-Shirts sans logo ni discours. Seulement des tee-shirts noirs ou bleu marine. Jamais des blancs. Ça laissait paraître les taches de café et de sauce à spaghetti. Billy Létourneau avait vingt-six ans, qui plus est, et m'allait aux épaules. Ce qui veut dire qu'il devait faire dans les cinq pieds six pouces.

Billy Létourneau n'était pas jasant. Mais il avait l'envie de me jaser ça ce matin-là. C'était d'autant plus apprécié que j'étais à ses côtés. Billy m'avait embarqué sur le pouce, quelque part sur la 40 dans le coin de Charlemagne, village natal de Céline Dion.

-C'est pas un char volé... continua-t-il. J'ai pas d'permis. J'en ai jamais eu. Pourquoi j'en aurais d'besoin? Si j'me fais arrêter, j'perdrai pas mon permis: j'en n'ai pas! Ils vont me donner une amende pour conduite d'un véhicule sans permis de conduire... Pis j'vas payer l'amende pis chauffer encore sans permis el' lendemain... Comprends-tu l'astuce?

Sa logique me semblait un peu tortueuse. 

Pourtant, je n'avais jamais vu une personne respecter aussi scrupuleusement le code de la route.

Il roulait toujours selon les vitesses permises, regardait à gauche et à droite avant de tourner, laissait passer les piétons et les personnes handicapées, ne faisait jamais crisser ses pneus et ne partait jamais en trombe... C'était un as de conduite, Billy Létourneau, le gars qui chauffait sans permis.

Tout au long du trajet qui séparait Charlemagne de Trois-Rivières, ma destination, Billy m'a raconté toutes ses fourberies avec le sentiment étrange qu'il se donnait l'air de m'apprendre à me débrouiller dans la vie. 

-Moé j'gagne bin ma vie parce que j'fais c'que j'veux. En seulement que j'me fais pas prendre. J'calcule mes affaires. Ej' chauffe pas de permis mais j'respecte el' code d'la route. Ej' vole du fil de cuivre dans les poteaux, mais j'le vends pas à 'a police... Toutte c'que j'fais c'est calculé, man. Faut s'débrouiller man. Ces hosties-là y'auront pas ma peau.

Qui étaient ces hosties-là? C'était peut-être vous, moi ou bien eux, là-bas, qui nous regarde du haut de leur hélicoptère. Je comprenais que Billy Létourneau était un renégat qui roulait sans permis de conduire. Et que j'aurais pu passer pour son complice si par malheur on nous avait arrêtés.

-Je n'le connais pas monsieur! Je suis un auto-stoppeur! aurais-je dit à la force constabulaire.

Je pouvais à tout le moins me rassurer du fait que Billy Létourneau était un bandit professionnel, rasé de près, le clin d'oeil complice, prêt à partager une moitié de sa sandwiche au jambon avec un pur inconnu. Ce que j'ai d'ailleurs refusé, par principe. Un pouçeux n'est pas un pique-assiette. Son rôle doit se limiter à faire la conversation pour tenir le chauffeur éveillé sur la route.

Je n'ai jamais revu Billy Létourneau bien entendu.

Il m'a fait débarquer aux cinq coins, l'entrée mythique de Trois-Rivières, avec Le restaurant aux 5 coins qui est depuis devenu La rôtisserie Ti-Coq. Dans le temps c'était encore Le restaurant aux 5 coins. Dans le temps où je faisais du pouce. Dans le temps où j'avais 20 ans. On va dire en 1990 pour faire une histoire courte.

Je n'en fais plus, du pouce.

Je pédale ou je marche. Ou bien je me laisse conduire par ma blonde. J'ai les yeux astigmates et le focus ne se fait pas au bon moment. Les paysages défilent comme sous l'effet d'un stroboscope lorsque ma vue doit s'ajuster à la haute vitesse. Je ferais donc un très mauvais conducteur. Même si l'on trouvait le moyen de me doter d'un permis pour conduire une voiturette de golf, voire une tondeuse à gazon.

Je vous parle encore de moi... 

Je dois être anarchique moi aussi.

Je commence quelque chose et me perds illico en digressions.

Ou bien je me mets à me rappeler de Billy Létourneau.

Ah oui! J'oubliais... J'ai finalement gouguelé à propos de la citation attribuée à Georges Brassens. Ma référence c'est le site Le Monde. C'est mieux que rien, n'est-ce pas? 

Et voilà ce qu'aurait dit Georges Brassens:


Il n'y a pas de référence exacte. Le doute subsiste...

Et c'est dans Le Monde!!!

Mais où s'en va Le Monde, hein?

Ça joue à l'écrivain, comme ce blogueur qui vous a raconté un truc sur Billy Létourneau.

Mais lui, au moins, n'est pas Le Monde!


2 commentaires:

  1. ici en France beaucoup n ' ont plus de permis de chauffer à la suite d ' infractions pas forcément graves - Mais ils roulent quand m^me parce que l ' engin est souvent indispensable pour le travail - Quand j ' étais petit la ceinture de sécurité n ' existait pas et il n ' y avait pas d ' alcootest - Récemment une ville du Danemark a mené une expérience où ils ont enlevé toutes les signalisations de rues - ils ont constaté une baisse significative du nombre d ' accidents - Ils ont prolongé cette expérience pour un an de + .

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  2. @Monde indien: intéressante l'expérience du Danemark... Ici, ce serait le chaos absolu. On enlève la signalisation et demain le Québec serait à feu et à sang.

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