Vladimir alias Vlad avait fait du temps, comme on dit dans le jargon de mon entourage pour signifier qu'il avait séjourné en prison.
C'était un petit bonhomme tout tissé de nerfs qui vivait de mille petits boulots tous plus misérables les uns que les autres et qui accommodait son ordinaire de menus larcins.
Vlad avait fait du temps pour avoir mis le feu à son bloc sur un badtrip de ouesse, surnom de la phencyclidine, aussi connue sous le nom de PCP. C'est utilisé par les vétérinaires pour l'anesthésie des chevaux. L'effet que provoque cette poudre chez les humains est dévastateur. On a déjà vu à l'urgence des types qui se croyaient invincibles parce qu'ils ne ressentaient plus de douleur sur la ouesse. Ils se sont donnés des coups de poing sur la gueule pour prouver leur nouvelle théorie. Et ils ont atterri à l'urgence, la gueule en sang, avec des tas de dents en moins. Ce qui ne les empêchât pas de rire aux éclats, bien que leur sourire fût moins éclatant.
Donc, Vlad avait fait du temps parce qu'il avait foutu le feu à son bloc.
-J'délirais calice... J'étais pas là... Snappé ben raide... qu'il tenta sans succès d'expliquer au juge.
Derrière les barreaux, Vlad prit le parti de se cultiver l'esprit en lisant essentiellement les évangiles et était ressorti de prison avec une infinie bonté, comme s'il s'était senti tellement trou du cul qu'il ne souhaitait plus que de réparer ses erreurs.
Il s'était pris un petit loyer dans un secteur de la ville où l'on retrouve essentiellement des réprouvés sociaux, dont son voisin Luc Croisetière, alias Crapaud, un sans-dessein violent et plutôt batteur de femme qui vivait avec sa femme et la petite fille qu'elle avait eue d'un ami de Vlad qui ne voulait pas payer pour la mère et pour la fille.
-Dis-leur que tu sais pas où c'est que j'su's, ok Vlad? qu'il lui avait dit en prison, ce gars qui s'appelait Roger je ne sais plus trop qui.
La blonde de Crapaud, Linda, était sur les pilules. Elle ne faisait jamais rien à manger et ne bouffait que des pilules. Crapaud se faisait venir du poulet de la rôtisserie quand il revenait de la shop et Linda grapillait dans ses restants pour se nourrir. La fille de Linda, Maude, pouvait bien crever. On lui refilait un déjeuner gratuit à l'école - quand même... Et le soir, eh bien c'est Vlad qui la nourrissait.
Eh oui, Maude, la fille de Roger et Linda, passait toutes ses soirées chez Vlad depuis deux ou trois mois et ne rentrait plus coucher. Crapaud et Linda ne s'en rendaient presque pas compte. Maintenant que Vlad donnait plus à Jésus qu'au PCP. C'était plus rassurant sans doute.
Maude devait avoir douze ou treize ans. Elle n'était plus capable de voir sa propre mère se faire traiter comme de la marde par Crapaud. Aussi, elle ne se gênait pas pour lui voler des cigarettes et du pot.
Maude était alors une grande fille mince habillée en punk par pauvreté plus que par choix. Sa mère lui trouvait des jeans dans les bacs de recyclage de l'Armée du Salut. Et ce sont ces jeans qu'elle devait porter jusqu'à ce que la fourche déchire. Aussi Maude s'amusait à les déchirer, à les recoudre, à les décorer comme s'il s'agissait d'une courtepointe.
Vlad avait perdu sa fille, Martine, qu'il avait eue avec Siffleuse Marcotte, une édentée qui consommait des speeds pour se remettre en train. Martine s'était suicidée dans sa famille d'accueil. Cela faisait deux ans déjà. Elle avait l'âge de Maude quand on l'avait retrouvé la gorge tranchée dans la salle de bain.
Vlad n'avait connu sa fille qu'à travers les grilles de ses prisons, puisque vous vous doutez bien qu'il n'y est pas allé qu'une fois. Et il s'en voulait de sa mort. Comme il s'en voulait du bloc qu'il avait incendié pour rien, risquant la vie de voisins doux et aimables qui ne lui avaient rien fait de mal.
Aussi Maude était atterrie dans sa vie comme un signe du Ciel.
Maude qui venait se réfugier chez Vlad pour souper avec lui, jouer au Nintendo et dormir sur le divan-lit.
Vlad l'appelait toujours Boss.
-Tiens! Un bon grand verre de jus d'orange Boss! C'est bon pour les vitamines, Boss! qu'il lui disait.
Maude buvait son grand verre de jus d'orange puis mangeait ensuite un bon pâté chinois ou bien les spaghettis que Vlad lui avait cuisinés. Elle avait droit ensuite à une belle soirée de Nintendo à jouer à toutes sortes de jeux loufoques sous l'oeil bienveillant et attendri de Vlad.
-J'su's ben icitte, qu'elle disait. D'l'autre bord c'est rien qu'd'la christ de marde... Crapaud c't'une charogne pis ma mère est folle raide... Marci d'm'accueillir Vlad!
Le premier à s'indigner de cette cohabitation fût Roger, l'ami de Vlad et père de Maude.
-J'aime pas ça qu'A' soèye chez-vous Vlad calice! Après ça Linda va savoir où j'su's pis A' va me d'mander pension pour elle pis pour Maude! Ça va m'coûter une hostie d'beurrée!
Évidemment, Roger était un trou du cul. Ce qui permit à Vlad de se foutre un peu de son avis. Aussi, Maude continua de vivre chez-lui. Après tout, ne prenait-elle pas du mieux? Elle avait même engraissé. Son teint était passé du vert au rose. Même que Vlad lui avait acheté du linge, des trucs de toilette, des quossins chez Dollaramax, etc.
-Tiens boss! J't'ai acheté du bain moussant, du chocolat, de la liqueur, des chips...
-T'es ben fin Vlad... M'en va's tirer une poffe sur la galerie... qu'elle lui répondait, la gamine.
Il n'y avait pas d'amour plus platonique, je vous jure. Vlad traitait Maude comme si c'était sa propre fille, Martine. Et il se surprenait parfois à l'appeler Martine, ce qui fait qu'il avait résolu de toujours l'appeler Boss pour ne plus trébucher sur les M.
Linda était snappée d'aplomb, comme d'habitude. Crapaud avait menacé de la jeter en bas du deuxième. Il l'avait même saisie par les jambes pour la suspendre dans le vide par-dessus la rampe de leur vieux bloc moisi. La police passait justement dans le coin et répondit à une plainte des voisins. De sorte que Crapaud, Linda et Maude furent bientôt surveillés par une travailleuse sociale, Hervée Dandurand, qui aimait bien faire du ski alpin et jouer au casino.
Maude a été tout de suite placée en famille d'accueil puisque le couple maudit s'était retrouvé en prison sous plusieurs charges criminelles, dont inceste et whatever.
Vlad devint l'homme le plus triste de la terre tout le temps où Maude ne put lui donner signe de vie.
Deux ans, trois ans, dix ans passèrent.
Et elle revint, pas plus tard qu'hier, Maude. Belle, avec une bonne job, et fière d'elle-même. Elle avait plein de petits cadeaux pour Vlad qui, vrai comme je suis là, pleura comme une Madeleine en les recevant, comme si la vie lui rappelait qu'il n'avait pas été qu'un trou du cul en ce monde.
-Merci Boss! qu'il lui a dit... T'aurais pas dû Boss! Un ordinateur! Un écran plat! Une ixeboxe trois cent soixante! Wow! C'est ben qu'trop pour moé Boss!
-C'est pas assez Vlad... Tu l'sais pas mais tu m'as sauvé la vie mon tabarnak!
Et elle repartit le soir même, après un souper au resto avec Vlad. Ils discutèrent du bon vieux temps et promirent de se revoir pour fumer une poffe ou whatever.
Si Vlad a l'air aussi exalté aujourd'hui, c'est parce que la vie lui a permis de réaliser de très grandes choses, bien plus grandes que tous ces ponts, viaducs et temples que les hommes peuvent bâtir.
Il en oublie presque ses crimes et ses sottises passés.
Et il siffle à tous vents que la vie est belle et qu'on est donc bien sur cette terre...
Un conte de noël au mois de juillet, y a que toi pour nous faire ça,hein ?
RépondreEffacerTout juste si j'ai pas chialé. Bon, en même temps, chuis juste qu'une fille, c'est normal. Il a bien réussi son coup, le Vlad. Comme quoi.
Je pourrais le joindre à ma liste de contes de Noël pas racontables... Marci! (Ou migwetch.)
RépondreEffacer;)
Oui y siffle mais pas entre ses dents qu'il n'a plus .C'est un appel à un envoi de dentiers en gros c't'histoire!
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