Avant de vous avancer plus loin dans la lecture de ce texte, je vous recommande de vous brancher, si vous le pouvez bien sûr, sur cet air d’Erroll Garner intitulé Mambo Erroll,
C’est beau, n’est-ce pas? J’écris par-dessus, comme si j’étais un membre de l’orchestre. Le pianotement de mes doigts sur le clavier se mêle à ceux d’Erroll Garner, avec moins d’art mais tout autant de feu, si je puis dire. Le contrebassiste Eddie Calhoun et le batteur Fats Heard nous accompagnent dans ce trio qui s’est transformé en quatuor, dans un autre espace-temps, à plus de cinquante ans d’intervalle. C'est de la magie...
Cette introduction n’est pas anodine. Rusé comme je le suis, vous vous doutez bien qu’elle servira à renforcer mon propos.
Je l’avoue, je sollicite toujours les meilleurs musiciens pour parler de musique ou de culture. Je ne les paie pas très cher, mais il m’est possible de les porter sur mon cœur sans mettre les mains dans mon portefeuille.
Si je ne devais avoir accès qu’à de la culture monnayable, je n’en saurais pas autant.
Quatre-vingt-quinze pourcent de ma culture générale ne m’a rien coûté. J’ai beaucoup fréquenté les bibliothèques publiques, puis l’Internet a pris le relais. Je proviens d’une famille modeste. Je n’ai pas toujours eu le fric pour m’acheter les grands auteurs publiés dans la collection La Pléiade. Pourtant je les ai lus, surtout lorsque je n’avais pas un rond, la pauvreté étant un puissant leitmotiv pour la lecture.
Si je ne devais écouter que les disques compacts que j’achète, je serais malheureux. Bien sûr, je pourrais rogner sur le budget consacré à la nourriture et autres dépenses frivoles comme s’acheter des bottes, des vêtements ou bien une pelle. Néanmoins, je consacre plus d’un pourcent de mon budget à m’acheter de la culture. C’est plus que ce que donne le gouvernement pour le programme de soutien aux artistes relié à la construction d’édifices publics comme le stade olympique, par exemple, pour ne citer que cet exemple de savoir-faire et de génie...
LE MÉLODRAME DE LA GROSSE INDUSTRIE CULTURELLE
Le mélodrame de l’industrie culturelle, bouleversée par les changements technologiques survenus à l’ère de l’informatique, n’a rien pour me faire verser une larme. Les gros joueurs traditionnels de l’industrie culturelle défendent leur bien, ce qui est tout naturel. Mais leur vision de la culture est réductrice et fait honte à l’esprit qui animait, par exemple, les philosophes du Siècle des Lumières. Leurs demandes égoïstes consistent à restreindre l’utilisation de l’Internet, à cloisonner le savoir et la culture à ceux qui peuvent payer. C’est irréaliste de penser ainsi au 21e siècle. C’est non seulement irréaliste mais stupide. Et non seulement stupide mais avaricieux. Tout le monde veut se cultiver. C'est comme respirer de l'air. Soit vous existez sur l'Internet, soit vous n'existez plus: c'est le début d'un temps nouveau.
Chaque discours contre le piratage sur Internet est à situer au même niveau qu’un discours contre le port de la mini-jupe. Ça sent le gras rance. C'est le genre de discours qu'on écoute en se bouchant le nez.
Pourquoi des milliards d’individus sur cette planète devraient-ils se soumettre aux diktats de semi-retraités qui tentent d’écouler leurs inventaires comme si les lois d’aujourd’hui devaient encore être celles d’hier? Pourquoi faire survivre une industrie moribonde dépassée par les événements? Les grosses compagnies de disque et les grosses maisons d’édition ne peuvent s’en remettre qu’aux arguments habituels des perdants pour sauver leur mise de fonds sur le dos des contribuables. Demander des subventions et encore des subventions : c’est tout ce qu’elles savent faire.
Pendant ce temps, le jeune artiste, de son sous-sol, peut être connu tout de suite dans le monde entier. Il n’a pas à se faire reconnaître par une bande de filous qui vont le déposséder de son âme et de son contenu pour une histoire de forme ou de contenant qui n’a rien à voir avec l’art, mais bien plus avec les règles à suivre pour recevoir des subventions.
LA CULTURE NE VA PAS MOURIR
«Le piratage sur l’Internet va faire mourir la culture», prétendent les bonzes de la grosse industrie culturelle. Pas question qu'ils s'adaptent. Le gouvernement devra sévir pour qu'ils puissent encore se servir, plutôt deux fois qu'une, au buffet à volonté réservé aux porteurs de vignettes officiellement reconnues par l'État. Ce n'est pas la culture qui va mourir, mais ces coquetels de têteux qui s'intéressent autant à la culture qu'au cours du charbon sur le marché mondial.
Quelle bêtise! Plus large est l’accès à la culture, plus elle meurt : il y a une faute de logique dans ce raisonnement.
La culture est vivante quand elle est accessible, mise en pratique et diffusée le plus largement possible.
Des tas de gens qui ne se sont jamais intéressés à Mozart pourront le découvrir sur You Tube, par hasard. Tiens, j’ai tapé Mozart sur You Tube, juste pour vous montrer à quelle vitesse l’on se cultive sur l’Internet. Premier clic, Jascha Heifetz joue un rondo de Mozart au violon. C’est joli, non?
Des tas de gens pourraient être gagnés à la cause de Mozart sans que l’industrie culturelle n’ait reçu un sou, si nous excluons bien sûr You Tube et autres sites du genre qui doivent bien empocher des millions chaque jour. You Tube pourrait bientôt crouler sous les poursuites. Le buffet à volonté ne devrait être qu'aux porteurs de vignettes et autres détenteurs de billets verts...
D'autres sites prendront la relève, ailleurs, lorsqu'un site tombera. Les mesures de contrôle finiront par tomber elles aussi, sous la pression des internautes, qui forment une masse critique de personnes qu'il ne sera pas facile à maintenir longtemps dans des enclos fermés.
Les censeurs ont perdu la partie avant même que de l'avoir commencée. Leurs victoires ne sauraient être que des reconnaissances symboliques de droits qui ne voudront plus rien dire un jour.
LE RECYCLAGE C’EST POUR TOUT LE MONDE
Je m’en réjouis et je ne me désole pas du mauvais sort qui s’acharne sur quelques têteux de subventions culturelles. Qu’ils fassent autre chose, bon sang! Le recyclage, c’est pour tout le monde.
Internet a favorisé un prodigieux accès à la culture et, par conséquent, une voie universelle, libre et gratuite vers la vraie richesse, favorisée par l’abolition de toutes frontières physiques ou économiques pouvant freiner la circulation de l’information entre les habitants de la Terre.
Ce ne sont certes pas les petites maisons de production qui se plaignent de l’Internet, mais les plus grosses avec leur culture préfabriquée. Les petites entreprises culturelles profitent de l’Internet et comprennent les nouvelles lois du marché. Elles peuvent rivaliser avec les grosses, avec un milliard de fois moins de moyens. Enfin, le génie vaut quelque chose et peut faire trembler les géants.
Sur ce, je vous laisse sur de la musique.
La chanteuse brésilienne Elis Regina interprète Aguas de março, d’Antonio Carlos Jobim, version originale de la chanson «Les eaux de mars» popularisée par Georges Moustaki.
Bon visionnement! Bonne écoute! Bonne fin de semaine!
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