lundi 19 juin 2017

Balade dans la pauvreté sale de la P'tite Pologne

La ruelle de mon enfance (Google Street View)
Je me suis baladé du côté du quartier de mon enfance en fin de semaine. Une fête de quartier avait lieu dans le Parc des Pins, à Trois-Rivières, un parc honteusement renommé le Parc Jean-Béliveau.

Ce n'est pas tant que j'en veuille à Jean Béliveau. Je trouve que l'on n'honore pas suffisamment la nature. De plus, je m'insurge contre l'idée d'allouer des noms et des prénoms d'êtres humains à notre toponymie. Cela contrevient à l'esprit des Autochtones qui furent les premiers occupants du territoire. Cela ne se faisait pas, chez les aborigènes, que de souiller les lieux avec de la vanité humaine.

On dira encore que je fais une montagne avec rien. Et je m'en foutrai pas mal, comme d'habitude. D'autres se tairont mieux que moi pour toutes sortes de raisons qui, d'ailleurs, ne m'intéressent pas.

Revenons plutôt à la fête de quartier qui avait lieu dans le district... Marie-de-l'Incarnation. Marie-Quelque-Chose, une autre sainte bien plus importante que tous ces Sauvages qui vivaient ici depuis quelques millénaires et qu'on a oubliés dans la préhistoire de notre histoire préfabriquée de colons. Heureusement que les Autochtones se souciaient peu d'accoler leurs noms à des édifices, des rues ou des districts. La vanité a toujours été une affaire de Visages Pâles...

Je crains de ne jamais revenir sur cette fête de quartier si je m'abandonne à toutes sortes de digressions... Arrêtez-moi, quelqu'un!

***

Bon. La fête de quartier avait lieu au Parc des Pins. Il y avait autour d'une centaine de personnes rassemblés là. Il faisait chaud et humide. On transpirait sous les bras. Les enfants pouvaient profiter de jeux gonflables mais la pataugeoire était fermée. On a dû la vider parce qu'un vandale avait balancé une bouteille dans la pataugeoire la veille.

C'était d'autant plus dommage que l'entrée de la pataugeoire était gratuite ce jour-là. Le conseil municipal a décidé dans son infinie insignifiance de faire payer les pauvres cet été pour aller s'y tremper les orteils. Ce n'est pas un petit 2,75$ par-ci par-là qui va leur faire du tort. Ils n'ont qu'à cesser de boire du Pepsi. Ou bien à faire comme les bourgeois et à gagner honorablement leur vie. J'en connais même qui ont des piscines dans leur cour. Les pauvres n'ont qu'à faire comme eux au lieu de chialer que tout leur est dû...

Le conseiller municipal du district et candidat à la mairie Jean-François Aubin était sur les lieux pour mousser sa campagne. Il portait un complet sous cette chaleur suffocante. Ce qui m'a fait prendre conscience des énormes sacrifices que doivent faire les politiciens pour devenir calife à la place du calife.

Le lama, les poules, les lapins et les canards avaient chaud eux aussi même s'ils étaient tout nus. Ils limitaient leurs mouvements dans leurs cages tandis que les curieux s'attroupaient autour d'eux pour leur caresser le cabochon. Il y avait même des lézards et des serpents, dont un anaconda.

Ce qui m'a le plus frappé, cela dit, c'est la pauvreté et la misère. Elle suintait de partout. Jusque dans cette vente de garage organisée dans le même parc qui attirait bien plus de curieux que d'acheteurs.

Tant qu'à me trouver dans le quartier de mon enfance, quelque part entre la P'tite Pologne et Notre-Dame-des-Sept-Allégresses, j'en ai profité pour revisiter les lieux qui m'ont vu grandir, rire et pleurer.

Cela m'a donné un choc. C'était pauvre dans les années '70. Il y avait des sniffeux de colle dans le Parc des Pins et des motards trop pauvres pour s'acheter une moto, dont les Réincarnés qui régnaient dans le ghetto du haut de leur vélo aux poignées relevées. De temps à autres résonnait l'écho d'une fusillade à la mitraillette dans un bar malfamé. Cependant, une certaine forme de capitalisme rudimentaire donnait au quartier des allures un peu plus animées. On trouvait un dépanneur à tous les coins de rue, des barbiers, des restaurants, des épiceries, une boulangerie, une pâtisserie, une quincaillerie et j'en passe. Tous ces commerces ont fermé dans le tournant des années '80 avec l'arrivée du Super Calice et, bien sûr, la fermeture des usines qui faisaient vivre la plupart de mes frères et soeurs de misère.

Il n'est demeuré que des fenêtre placardées de panneaux de bois pressé, des logements qui n'ont pas été rénovés depuis 1981, des consommateurs de crystal meth, des assistés sociaux à vie, des candidats au suicide, etc.

C'était pauvre dans mon temps. Ça l'est encore aujourd'hui. Est-ce mieux ou pire? Pire, je dirais. On a pu croire, dans les années '50, '60 et même '70 que les choses allaient en s'améliorant. On a cessé d'y croire dans les années '80. L'espoir est disparu. Il n'y avait plus de futur. Il n'est resté que la pauvreté la plus glauque, l'absence de rêves auxquels s'accrocher, une vie de ghetto toujours plus misérable où les voisins peinent à se parler et à se regarder. On ne veille plus sur les perrons. On s'enferme dans son taudis à double tour de crainte de se faire voler par son voisin.

Vous direz sans doute que j'exagère. C'est vrai que j'exagère. Je ne devrais pas me promener dans la P'tite Pologne pour avoir les idées plus claires sur les progrès de notre belle société. Quand on quitte le nez des statistiques officielles on finit par avoir les idées noires. Ce n'est pas pour rien qu'on préfère voter pour un politicien qui porte un complet et, si possible, une cravate. On ne confierait tout de même pas son avenir à un sniffeux de colle. Ou, pire encore, à un poète. Ne devient pas Gérald Godin qui le veut bien.

Il y avait donc une fête de quartier en fin de semaine dans le district Marie-de-l'Incarnation. Il faisait chaud. La sueur me coulait dans la raie du cul.

Le IGA où j'étais commis d'épicerie abrite maintenant Moisson Mauricie.

Les dépanneurs sont devenus des logements chauds, humides et probablement pas trop cher. De quoi payer l'hypothèque des proprios qui habitent à Montréal et s'achètent l'Avenue de la Baltique au Monopoly pour 50$.

On trouve beaucoup de marchés aux puces et de bazars du n'importe quoi qui ouvrent pendant un mois ou deux avant de faire faillite, comme tout le reste autour.

Le logement où j'ai grandi n'est plus en papier-brique. Il est en revêtement de vinyle. On peut dire que c'est un progrès. Mais le bloc a toujours l'air aussi pauvre et misérable. Je me demande si les murs sont encore recouverts de moisissure comme dans mon temps, si les planchers sont toujours aussi croches, si les souris et les rats s'amusent encore dans la cave en terre battue.

Ma ruelle, le terrain de jeu de mon enfance, me pogne aux tripes. Les enfants qui y jouent me bouleversent comme si je me revoyais, jeune, pauvre, à préférer jouer à l'Indien plutôt qu'au cow-boy. Rêvent-ils de devenir cosmonautes ou bien de braquer une banque?

Une chance qu'il y avait la pêche sur la rivière et le fleuve quand j'étais jeune. Une chance que j'avais un vélo pour ne pas limiter ma connaissance du monde à ma petite ruelle.

Ont-ils seulement des vélos les enfants qui grandissent dans le quartier de mon enfance?

Peuvent-ils se permettre d'aller à la pataugeoire sans débourser un sou?

Est-ce que leurs parents travaillent?

Je n'en sais rien.

Mais tout concourt à me faire croire qu'on est plus dans la marde aujourd'hui qu'on ne l'était de mon temps dans la P'tite Pologne.

C'était la Fête de quartier dans le district de mon enfance. Et, franchement, je ne me sentais pas le coeur à la fête.

2 commentaires:

  1. Le Parc des Pins... Bonjour Gaetan, que de souvenirs! Je suis de Saint Maurice, dans les grandes occasions nous allions "en ville" (au Cap ou a Trois-Rivieres). Je me rappelle bien du Parc des Pins, pres de la "Station" avant la construction de la 40... Je courtisais une demoiselle de la rue Lajoie, puis de la rue "de Normanville" sous l'arome de la "Wayagamack", en longeant la riviere St Maurice qui etait partiellement couverte de "pitoune". Il y avait un club prive pour "riches" le long du boul. des Chenaux que je devais emprunter en venant du Cap sur la route "2" (pont Duplessis).
    "Je me souviens" de ce temps... Oui, mais les drogues ne faisaient que commencer, l'alcohol (et les cigarettes) etaient notre poison de l'epoque.
    Merci pour les souvenirs, ce temps avant que les speculateurs et les corporations de developpement achetent tous ces pauvres terrains pour en faire des residences pour gens fortunes...
    A bientot, Ciao, L

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  2. @Lancelot: Bonjour Lancelot. Je n'ai malheureusement aucun souvenir de la Station et de tout ce secteur qui a été démoli dans les années '70 pour la construction de la 755. Mon père appelait ça le Mur de la Honte... Le club pour riches s'appelait le Radisson. J'y allais parfois puisque l'un de mes cousins y faisait le ménage et avait le droit de s'y baigner accompagné de deux personnes... Pour ce qui est de la 755, je l'ai connue avant son ouverture officielle. C'était ma piste cyclable préférée... On y faisait de la vitesse et d'autres folies sur nos vélos avec rétro-frein à pédale.

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