lundi 29 juin 2015

Reynald, un ancien de la Reynold's Aluminium Company de Sainte-Marie-Madeleine-du-Cap-de-la-Madeleine

Reynald est un ancien travailleur de la Reynold's Aluminium Company de Saint-Marie-Madeleine-de-Cap-de-la-Madeleine, village que d'autres appellent Cap-de-la-Madeleine pour faire court ou bien Trois-Rivières pour le facteur.

Reynald est un peu affecté mentalement. Son désordre mental a débuté lors de la longue grève des années '80 qui a bien duré deux ans. Ce gringalet habile de la parole s'était marié avec Maude Landry, la fille d'un foreman de la Reynold's qui lui avait trouvé un poste de journalier dans la compagnie. C'était en 1978. Comme il faisait souvent de l'overtime, les paies étaient un peu plus consistantes, bien qu'il faisait partie des travailleurs de l'aluminium les moins biens rémunérés de toute l'Amérique du Nord. En sacrifiant sur le fromage, le pain et le beurre, Reynald avait trouvé moyen de s'acheter un char, une maison et une piscine. Tout ce qu'il fallait pour accueillir son épouse et leurs deux rejetons, Patrick et Simone. 

Puis 1980 arriva comme un coup de bâton en plein front. Reynald tint à affirmer sa solidarité avec ses camarades, au grand désespoir de son épouse dont le père faisait partie des cadres non-syndiqués de la compagnie. Gilles Landry, le foreman en question, était un genre de fasciste qui croyait que les syndiqués n'auraient rien du tout. Il forçait les lignes de piquetage pour faire rouler la shop malgré la grève. Évidemment, cela mettait en tabarnak Reynald et ses camarades. 

Ils commencèrent à crever les pneus de Gilles Landry pour souligner leur mécontentement.

Puis comme le foreman récidivait à jouer au scab, quelques têtes un peu plus échauffées prirent sur eux de tirer sur son véhicule avec un fusil de chasse quand il le faisait démarrer le matin pour se rendre au travail.

Gilles Landry était dans tous ses états et traitait de trous du cul les syndiqués. Il n'était pas plus tendre envers son gendre. Et sa pauvre fille, Maude, priait incessamment son mari de ne plus participer aux lignes de piquetage sans quoi elle le quitterait.

-Jamais, m'entends-tu Maude, jamais j'vais plier devant les hosties d'charognes de la Reynold's! Jamais! Moé chu t'avec les gars! Ok? Les boss, les boss, les hosties d'boss... Un jour venu i' s'ront dans rue on leur bottera le cul!

Maude avait fini par le quitter, d'autant plus qu'ils avaient perdu leur maison, leur piscine et leur char. Si cela n'avait été que de tout ça, Reynald n'aurait pas eu trop de misère. Malheureusement, elle partit aussi avec les enfants et ça lui déchira le coeur et lui fit exploser l'esprit.

Du coup, il cessa toute activité et se mit à se promener en robe de chambre dans les rues de la ville en mendiant des trente sous pour s'acheter des cigarettes.

Quand la grève se termina, Reynald ne réintégra pas son emploi. Il a été slaqué comme tant d'autres pour que la Reynold's fasse plus d'argent avec moins de staff.

D'une année à l'autre, Reynald devint de plus en plus minable, désoeuvré et démotivé.

Il demeurait pas plus de trois mois dans ses loyers qu'il ne payait pas tout le temps. C'était la plupart du temps des studios insalubres ou des maisons de chambres bourrées de moisissure,

Il habite encore dans un studio minable, Reynald, et passe le gros de son temps dans les parcs, l'été, parce que son loyer le déprime.

Hier, lorsque je l'ai croisé, il était assis sur un banc dans le parc Champlain et il écoutait la radio à pleins tubes.

Il s'agissait d'une émission sur les chars: Parlons char que cela s'appelle. C'est une émission où l'on parle de la nouvelle Kia ou du nouveau camion Dodge. L'animateur essaie les chars et en parle pendant trois heures. C'est une émission plutôt monotone qui manque de bonne musique. Elle est commanditée par les concessionnaires automobiles de la région.

Reynald écoutait sa radio avec un cartable sur les genoux. Il prenait des notes. Et il semblait complètement absorbé.

-Salut Reynald! que je lui ai dit. 

Je m'attendais à ce qu'il me reconnaisse, moi, le fils à Teddy, feu mon père qui a travaillé avec lui à la Reynold's. Mon père qui a porté des pancartes et scandé des slogans avec Reynald.

-J'ai pas l'temps de t'parler Gaétan! Je suis en train d'étudier. J'écoute l'émission pis j'prends des notes...

-Profite du beau temps Reynald. Bonne journée... que je lui ai dit, un peu dépité.

-B'journée... qu'il m'a répondu négligemment, le nez plongé dans ses feuilles de cartable.

Qu'est-ce que je pourrais ajouter à tout ça, hein?

La vie a été chienne avec Reynald. Comme avec bien d'autres. 




Aucun commentaire:

Publier un commentaire