vendredi 26 juin 2015

Dans Notre-Dame-des-Sept-Allégresses, à Trois-Rivières, en 1978

Les temps changent. Quand j'étais jeune, il était rare d'entendre un climatiseur fonctionner dans le quartier où j'apprenais à me battre. Notre-Dame-des-Sept-Allégresses, à Trois-Rivières, ce n'était pas nécessairement la joie. On entendait les petits comme les grands crier du matin jusqu'au soir.

-Mon p'tit tabarnak t'es mieux d'rentrer à 'a maison ou ben don' j'te califfe une mornifle!

-Va chier christ de folle!

-Y'où c'est qu'alle est ma paye cibouère? 

-Ej' l'ai cachée pour nourrir tes enfants mon hostie d'mongol!

-Faut qu'j'aille à 'a taverne ma christ de chienne! R'donne-moé ma paye ou j't'en crisse une su' l'nez!

-Essaye pour voir! M'en va's t'ouvrir avec la poêle de fonte mon chien!

-Aaargh!

-A-aaaa!

-WAAAAAA!

-RAAAAAAA-AAAH!

Et ça criait ainsi pendant des heures par temps chaud et humide comme par temps froid. Les flics venaient de temps en temps foutre un coup de matraque ou deux. Puisque tout le monde se mêlait plus ou moins de ses affaires, c'était rare qu'on les voyait. Les lois n'étant pas ce qu'elles sont aujourd'hui, il était plus ou moins permis de frapper sa femme et ses enfants devant tout le monde, sans se cacher. On s'entassait dans des logements de carton miteux aux murs couverts de moisissures. La promiscuité favorisait les explosions de violence, l'alcool et l'inceste. C'était ça, Notre-Dame-des-Sept-Allégresses.

Je vivais fort heureusement dans une famille pieuse et engagée socialement. Nous avions droit à nos huit repas par jour. Nous avions chacun une bicyclette pour fuir tout ça et se retrouver à la pêche sur le bord de la rivière Tapiskwan Sipi ou bien sur la plage du fleuve Magtogoek. On finissait par oublier le ghetto en lançant des pierres dans l'eau, en se faisant des feux avec les branches mortes qui jonchaient les rives, en rêvant d'un ailleurs au bout de tout ça.

Je croyais que le monde entier ressemblait à Notre-Dame-des-Sept-Allégresses. C'était ma seule référence. Jusqu'à ce que j'aie le malheur d'approfondir mes lectures à la bibliothèque.

J'ai fini par comprendre ce qu'est l'injustice sociale. Je me suis claqué Jules Vallès, Jack London, Victor Hugo, Pierre Vallières... Nous étions des Nègres blancs en Amérique.

J'en ai voulu aux riches de nous confiner dans ces quartiers explosifs entourés de clôtures et de fils barbelés.

J'ai rêvé moi aussi de porter une étoile rouge, un A entouré d'un cercle ou quelque autre symbole de ma rébellion contre la misère et la pauvreté.

Je ne vous écris pas ça pour dire que j'ai fait pitié. 

Je faisais moins pitié que la plupart des jeunes de mon âge dans mon quartier. Je mangeais à ma faim. Mes parents m'aimaient et s'aimaient. J'étais en quelque sorte un privilégié dans cette fournaise sociale.

Pourtant, alors que j'écris ces lignes, je sais que les chiens de capitalistes nous maintenaient dans cette misère collective et cette crasse sociale.

Je sais que nous avons, moi et mes amis d'enfance, grandi dans une auge à cochons où l'espoir se faisait rare.




4 commentaires:

  1. J ' aime ce texte - beaucoup -
    Moi , mon enfance c ' était dans un milieu Bourge - petits bourges, mais bourges quand m^me - Bourge et catho -
    Du coup , j ' ai longtemps cru être un bourge - quand on est gamin on réféchit comme on peut -
    Et puis , les années aidant , mes yeux se sont dessillés : que ce milieu a une dynamique de l ' égoïsme et de l ' oppression des pauvres qui m ' a fait horreur dès mes toutes premières années de vie et cette horreur m ' habite toujours - Non , je n ' ai jamais été et ne serai jamais un des leurs / m^me si un lien d ' amour à mes parents subsiste - mais il est sans doute d ' une autre dimension .
    Tout ça était d ' une violence inouïe !
    Y avait-il quelque amour quelque part dans ce monde horrible ?
    J ' ai eu la chance immense de naître dans les générations qui ont connu le désir hyppie - qui a eu ses illusions mais aussi ses certitudes clairvoyantes !
    Et aussi de valeureux amis - j ' avais 20 ans - qui ont généreusement contribué aux éclaircissements que j ' opérais sur ces riches et ces " catholiques " -
    Excuse-moi Gaetan , je respecte ton christianisme un peu atypique , mais je ne pouvais plus accepter ces gens qui se confondaient en " amour du prochain " à la messe du Dimanche , et tuent des millions de pauvres aussitôt lancé l " ité missa est " - Je ne pouvais plus , définitivement , accepter les dogmes qui prônent le statut de " pêcheurs irrémédiables " - quant tel merveilleux ami m ' affirmait : mais je n ' ai jamais été pêcheur ni fautif de quoi que ce soit ! Et ainsi de baisser la tête et se résigner en permanence !
    D ' où , je ne voulais m^me plus demander pardon à cet hypothétique dieu pour des fautes que je n ' avais pas commises , au lieu de me relever pour combattre et anéantir ces injustices commises par tou-te-s les égoïstes du monde -
    Et puis j ' ai appris que toutes les sociétés , animales et humaines , ne sont pas comme çà - les indiens - certains peuples d ' Afrique ou d ' Asie - où il n ' y a pas de pauvres ni de riches -
    J ' ai compris que c ' est çà que je suis , comme le sont aussi d ' autres que moi : c ' est çà qui est important - et peu importe les indécrottables égoïstes -
    Tout sincèrement à vous tous/toutes ,
    Charles de Sète - France -
    Alias , Monde Indien .

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  2. @monde indien: Merci pour ton témoignage. Je réitère que je ne faisais pas pitié dans mon quartier pauvre. À certains égards, nous étions riches. L'injustice sociale faisait partie des notions que mon père m'inculquait. Que l'on soit d'origine bourgeoise, ouvrière ou SDF, les hippies (dont je suis sans aucun doute) nous ont appris une révolte qui transcendait même la politique et les classes sociales.

    Let the sunshine in...

    Cela dit, mon christianisme est bien plus qu'atypique. L'amour de son prochain n'est pas une notion chrétienne. Elle est partie prenante de tous les grands courants philosophiques et de toutes les grandes conceptions sociétales des vrais humains.

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  3. Ne t ' inquiète pas , il ne s ' agit jamais de pitié de ma part - que de la révolte - Quant à ton christianisme , j ' ai bien compris qu ' il est bien + !!! - Respect et admiration !
    Tu as raison , l ' amour de ses prochain-e-s est universel / pour qui l ' entend / - m^me moi qui suis athée , c ' est ma valeur fondamentale -
    Axé !

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  4. @monde indien: Je suis de la génération Punk dite No Future... Pourtant, je me suis toujours senti un hippie, même si c'était démodé. Mes références musicales sont essentiellement Bob Dylan, Neil Young, The Doors, The Beatles, Genesis, Led Zeppelin, Offenbach, Harmonium, Renaud, Brel, Brassens, Ferré... J'agrémente le tout de littérature russe. Je ne me retrouve en rien dans le cynisme et les vomissures de ma génération. Ma révolte est tout autant physique que métaphysique. Les hippies ont provoqué une vraie révolution. Ma génération n'a fait que pleurnicher en se décrottant le nez.

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