mercredi 3 février 2016

Se sentir bien d'être un trou du cul

Joey avait tout perdu. Tout.

Il était lavé, rincé, lessivé.

Il n'avait plus d'emploi, plus de maison, plus de meubles et plus d'amis.

En désespoir de cause, il s'était trouvé un modeste studio situé au-dessus d'une cordonnerie qui avait fermé ses portes en raison d'une faillite.

Son studio aux murs blancs décrépis était vide.

On n'y trouvait qu'un tas de draps empilés l'un par-dessus l'autre qui faisaient office de matelas.

Il y avait aussi un verre d'eau à moitié vide. Une assiette et peut-être trois couteaux. Quelques vieux bouquins aux pages défraîchies. Un vieux radio qui diffusait uniquement la chaîne musicale de Radio-Canada.

Évidemment, Joey portait toujours les mêmes vêtements: un vieux jeans, un vieux gaminet, un vieux coton ouaté, un vieux manteau, de vieilles bottines, de vieux bas.

Il avait tout perdu. Tout. Mais il lui restait quelque chose comme de la béatitude.

Les échos du monde et de son ancienne vie de gérant de caisse populaire ne parvenaient plus jusqu'à lui. Les encaissements et les bilans pro-forma lui étaient devenus indifférents.

Il se levait à l'heure qu'il voulait et se couchait après avoir fait de longues marches qui le menaient d'une bibliothèque à l'autre où il pouvait lire tout son soûl des bandes dessinées et des nouvelles de Maupassant.

Ses malheurs étaient incommensurables. Pourtant. il avait trouvé un peu de sérénité dans cette dèche.

Il n'avait plus d'idées noires.

Le mode survie lui convenait tout à fait.

Fuck les obligations et les reproches qui les accompagnent inévitablement.

Fuck toutte.

Joey n'était plus rien.

Et pourtant. il se sentait enfin redevenir quelque chose.

Quelque chose de transcendant.

Quelque chose comme une feuille d'automne ballottée par le vent.

Quelque chose comme un soupir.

Ou bien un air de musique mystérieux et monotone.

Joey n'aurait jamais pensé qu'il se sentirait aussi bien d'être devenu un trou du cul.


5 commentaires:

  1. Il a ben raison c'te Joey !
    Ceusses et celles k ' ont pas compris ça sont k ' les riches !
    Y z ' essayent bien ed ' s ' faire enculer mais y z ' y arrivent m^me pas !
    Ceusses qu ' ont compris font comme les vaches et lâchent leurs bouzes qui vont égayer les prairies -
    Les riches qui ont la main agrippée au portefeuille ont m^me la bouche aussi raide que le trou du cul -
    Ils,elles vivent sans rien connaître des 1000 et uns autres bonheurs de la vie -
    Tant-pis pour eux -
    Ils le veulent bien -

    RépondreEffacer
  2. @MONDE INDIEN: Oui monsieur! Je ne dirais pas que le manque d'argent fait le bonheur, mais le manque de philosophie provoque indubitablement le malheur de quiconque.

    RépondreEffacer
  3. Comme tu dis - t ' as raison !
    Trop de manque de money fait le malheur -
    Et trop de money fait le malheur encore +
    Et , pas de philosophie fait le malheur ,
    et un peu de philosophie fait le bonheur -
    La philosophie n ' est pas compliquée -
    Soyons sages comme nous demandons
    aux enfants d ' être sages -

    RépondreEffacer
  4. Je viens d'écrire un article un peu en rapport avec ton sujet, j'ai lu ton article après. On dirait qu'on est timé parfois. :D

    La descente de Joey n'est pas inéluctable. S'il y avait le RMG, cela n'arriverait plus à personne. Il pourrait reprendre sa vie en main, et se repartir une autre vie. Malheureusement encore aujourd'hui, ceux qui arrivent dans ce genre de situation subissent la marginalisation, la dégradation des conditions de vie, de la santé, du moral, puis se retrouvent à la rue, dans les hôpitaux ou les prisons, et de façon alternée. Il faudrait arrêter de se fermer les yeux là-dessus et d'accuser les victimes, car je ne connais pas grand-monde de réellement paresseux et qui ne veut rien faire de sa vie. S'ils ne font rien, c'est parce qu'ils sont bloqués quelque part, malades ou découragés; ça prend aussi des études pour s'en sortir, et après, de l'emploi et du monde qui vous aime la gueule. La vie en bas est très difficile, je l'ai vécu, et il est très difficile de remonter, ça prend des années d'effort, et c'est pas tout le monde qui est capable; un dossier parce que t'es allé faire un tour en-dedans, ça te bloque même dans un Mecdo ou un Timorons. Les innocents qui traitent les BS de paresseux sont tous des ostis de cave. En tous cas, c'est un manque profond d'empathie. Ils ne comprennent pas la situation véritable.

    RépondreEffacer
  5. @Eremita: On mène des vies parallèles... Tu as tout à fait raison de ne pas manquer d'empathie. Je me rappelle vaguement d'un texte lu dans le journal intime de Cesare Pavese, un écrivain italien qui a mis fin à ses jours. Il disait, en gros, que l'on traite les dépressifs comme les ivrognes: allez! avance! dessoûle! ...

    On ne veut pas voir autre chose qu'un paresseux ou bien un ivrogne chez celui ou celle qui a le malheur de sombrer dans les abîmes du lumpenprolétariat.

    On ne réalise pas toute la somme d'atavisme, d'avarice et de mépris grégaire qui a pu mener cette personne vers les enfers.

    Tous les reproches vont à ceux qui ont échoué. La réussite est toujours nimbée d'angélisme et de vertus, en dépit de toutes les victimes qu'elle peut laisser autour d'elle.

    RépondreEffacer