vendredi 10 décembre 2010

L'odeur du Maure

Rhéaume était d'une incroyable lenteur. Si lent en tout et silencieux tout le temps.

Mince, sec et élancé, il ne s'élançait jamais à toute allure. Il allait si lentement dans la vie qu'il finissait par exaspérer tout un chacun. Ce qui fait que Rhéaume ne travaillait pas. À vrai dire, vous ne l'auriez pas embauché vous-mêmes, chers lecteurs et lectrices. Vous auriez été stressés rien que de le voir traîner la savate.

Rhéaume faisait cet effet-là partout sur son trajet.

Il était dans la trentaine avancée en plus d'être laid. Il avait des boutons et des chicots en guise de dents. Il n'était jamais très propre parce qu'il s'était éduqué lui-même.

Sa grande-tante aveugle l'avait prise sous son aile. Elle était gentille, Mira, sa grande-tante aveugle, mais elle ne croyait pas devoir juger le fils de sa petite nièce morte dans un accident de voiture. Elle était aimante, sa grande-tante, tellement qu'elle laissait Rhéaume faire ce qu'il voulait, d'autant plus qu'elle ne voyait pas ce qu'il faisait. Il développa donc sa lenteur et sa senteur muscée au bacon.

Mira Rhéaume finit par mourir il y a dix ans et Jacquelin Rhéaume dut bien quitter son nid.

Rhéaume se trouva lentement un logement qu'il n'avait plus quitté depuis, un logement affreux qui sentait la cigarette même s'il ne fumait pas. C'était l'odeur du voisin du dessous qui règnait dans son logement. Une odeur de cigarette.

Un jour, pour en venir rapidement au coeur de l'histoire, le voisin du dessus se pendit dans son logement et ça se mit à puer encore plus fort dans le loyer de Rhéaume. Mais Rhéaume n'était pas vite pour réagir même quand ça sentait le cadavre chez-lui. Son proprio passa par là à la fin de juillet pour voir si tout allait bien et fut tout de suite surpris par l'odeur de charogne qui régnait dans sa propriété.

-Pouah! Ça sent l'mort! qu'il avait dit.

Et le Maure en question, un Mauritanien dans les quarante-cinq piges qui fumait essentiellement des Presto-Flaque, en avait eu assez des questions. Le proprio figea sans réponse devant son corps qui flottait au-dessus de la poutre du cadrage de porte du salon. C'était un gars ordinaire ce proprio, avec les cheveux peignés sur le côté et des vêtements de taille 2X bleu marin. Le suicide, c'était une sale affaire pour lui, surtout en juillet. Essayez de relouer ça quand tout le monde sait qu'il y a maintenant un fantôme.

-Y'aurait pu s'tuer en janvier calice! Ça pue que l'viârge! Pouah! qu'il avait beugler, le proprio.

Rhéaume, comme à son habitude, fit semblant qu'il ne se passait rien. Il était habitué à puer lui-même et ne se souciait pas plus de la puanteur d'un autre, qu'il soit mort ou vivant. Il poursuivit son inactivité préférée, assis dans son fauteuil, à regarder fixement un point bleu et sans nuage dans le ciel.

Le proprio déblatéra n'importe quoi. Rhéaume ne sortit pas de sa léthargie avant le début de la soirée, moment où il se décida d'aller acheter du push-push à la fragrance de noix de coco pour la première fois de sa vie.

Il se sentait aussi gêné que s'il s'était acheté des capotes pour la première fois. Et probablement plus gêné du fait qu'il ne s'en était jamais acheté, des capotes.

Rhéaume glissa dans ses souliers sans lacets, descendit lentement son escalier et trottina jusqu'à la pharmacie du boulevard.

-C'est... c'est combien cette bouteille de push-push? qu'il demanda à un commis.

-Deux et soixante-dix-neuf, répondit le gros et grand commis en le toisant comme si Rhéaume était une vraie merde.

-Merci... Merci beaucoup... bredouilla Rhéaume en se rendant extrêmement lentement à la caisse avec sa cannisse de push-push en aérosol à la fragrance de noix de coco.

-Monsieur! Monsieur! hurla la caissière au bout d'un certain temps pour tirer Rhéaume de sa rêverie. C'est à votre tour de passer à la caisse!!!

-Ah... fit Rhéaume en traînant la savate jusqu'à la caisse.

-Autre chose? lui demanda la caissière, une jolie fleur dans une peau de vache qui tambourinait impatiemment avec ses ongles sur le plastique de la caisse-enregistreuse.

-J'ai dit: AUTRE CHOSE!!!??? répéta-t-elle.

Rhéaume sortit un peu de sa torpeur et tendit un billet de cinq dollars.

La caissière lui remit sa monnaie puis Rhéaume repartit chez-lui avec sa can de push-push.

Il push-pusha tout son logement avec cette odeur de noix de coco qui n'arrivait pas tout à fait à masquer l'odeur du Maure qui avait été oublié dans son logement parce que le proprio était parti chez Johnny alias le Trèfle pour s'acheter de la poudre.

-Hostie! se dit-il vers trois heures du matin, au bar Chez Ti-Claude. J'ai oublié d'appeler 'a police pour aller décrocher le corps d'Amid, mon locataire qui s'est pendu... Sacrament!!! J'su's pas pour les appeler frosté comme j'su's à c't'heure citte i' vont penser qu'c'est moé qui l'a tué saint-chrême! Tabarnak! J'sus encore dans 'a marde! Maudits suicidés de tabarnak! Ça pourrait pas s'tuer dehors calice?

Rhéaume ne s'en fit pas pour autant. Il sentait bien que c'était franchement nauséabond. Mais il avait sa cannisse de push-push à la noix de coco et se caliçait bien du reste. Même qu'il dormait comme un loir, Rhéaume. malgré cette chaude nuit de juillet et les émanations de ce cadavre qui continuait de pourrir dans le logement du dessous.

2 commentaires:

  1. Ça pue en tabarnak un cadavre. Ouh-la-la. Pire qu'un goaler qui lave jamais son stock. Mille fois pire.

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  2. Et si les Maures revenaient de loin parfois, juste pour faire bouger les morts-vivant?

    Caboche

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