Pardonnez-moi tout de suite ce titre manichéen. Je ne pouvais pas y résister, d'autant plus qu'il résume fort bien mon état d'esprit en ce moment. Je sens la présence du Mal, une présence d'une terrible banalité. «Si le Diable revenait sur terre aujourd'hui, écrivait substantiellement Georges Bernanos, il serait un vendeur d'assurances.» Autrement dit, il serait un homme banal, à qui l'on confierait presque les clés de notre maison.
Je suis en train de lire la brique de Jonathan Littell, Les Bienveillantes. Le docteur Aue, narrateur et personnage principal du roman, raconte ses souvenirs d'officier SS sur le front de l'Est. Tout, même les exécutions de masse, devient d'une effroyable banalité menée avec zèle par des gens honnêtes, des pères de famille exemplaires, qui sont devenus de parfaits instruments de la machine de mort mis en place par Adolf Hitler et sa clique de voyous nazis. Ce qui étonne le docteur Aue, devenu lui-même un instrument de mort, c'est qu'il n'y ait pas plus de sadiques chez les SS que dans la population «normale», toutes proportions gardées. C'est l'effroyable banalité du Mal. Les ordres sont obéis, machinalement, parce que l'homme est réduit à l'état d'objet. Mon professeur de philosophie, Alexis Klimov, parlait d' «objectivation» pour décrire le phénomène. Les gens tièdes et banals, dans des situations extrêmes, peuvent devenir les pires assassins de l'histoire.
En prenant l'autobus, tout à l'heure, j'ai remarqué que peu de gens cédaient leur place pour un vieillard ou une mère avec des enfants en bas âge. Évidemment, je me suis levé, comme me l'ordonne mon sens de l'éthique. Pourtant, un vieillard pas solide sur ses jambes et une mère, avec son enfant, sont demeurés debout devant de jeunes cons et jeunes connes qui, manifestement, ne savaient pas vivre. Je me suis alors demandé ce que ces jeunes cons et jeunes connes feraient dans une situation où on leur ordonnerait, par exemple, de tuer des gens pour prendre leur place. J'ai pensé aux bandes d'enfants-soldats de Charles Taylor, aux gardes rouges de la révolution culturelle maoïste, aux jeunesses hitlériennes: effroyable banalité du Mal qui échappe parfois à nos commentateurs politiques qui vouent un culte pour le moins douteux envers les «aspirations» de la jeunesse. Comme disait André Malraux, en parlant d'André Gide, je n'ai pas de respect pour quelqu'un qui se soucie de savoir ce que les jeunes pensent de lui.
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