vendredi 15 octobre 2010

À propos des miracles de Johnny Boy Siffleux Charbonneau, original de Saint-Marsouin-des-Mines

Les miracles ça n'arrive pas tous les jours. Et des gars comme Johnny Boy Charbonneau, on en voit tous les jours, tellement qu'on oublie que les miracles peuvent aussi se produire fréquemment. Ce qui fait qu'on n'est jamais trop sûr de rien, sinon qu'on va tous crever un jour, la tête dans le trou des chiotes, à se demander ce qu'il y a par-delà les étoiles.

Johnny Boy Charbonneau n'était pas rongé d'angoisses métaphysiques et donnait à son prochain sans faire de publicité pour sa cause. Il n'avait pas de cause, Johnny Boy. Sinon celle d'avoir sa ration quotidienne de pain tendre, de bière et de cigarettes, tous trois produits étant au coeur même de son existence. Il n'allait pas à l'église et de toute manière il n'y avait plus de paroisse à Saint-Marsouin-des-Mines. Les gens se crissaient de toutte et se faisaient une foi à la mesure de leurs rêves, sans clergé, sans maudits papiers à remplir ou bien à sortir de ses poches.

C'était un gringalet un peu chauve dans la cinquantaine, ce Johnny Boy. Il avait l'air de rien. Un froc de jeans. Des pantalons en jeans. Même sa casquette de baseball était en denim. Aucun logo de marque. Un tee-shirt blanc. Rien de particulier.

Sa barbe était toujours de trois jours, comme s'il l'entretenait ainsi. En fait, il se faisait la barbe avec un rasoir à cheveux. Il coupait le plus long. Et se foutait bien du reste.

Il lui manquait deux dents devant. Les palettes. Ce qui fait qu'on le surnommait aussi Siffleux. Johnny Boy Siffleux Charbonneau était son nom complet pour le club de balle molle du village de Saint-Marsouin-des-Mines. Il jouait dans le champ gauche. Ce n'était pas un très bon joueur mais les autres joeurs étaient saouls aussi.

À Saint-Marsouin-des-Mines, Siffleux passait pour un type qui faisait des miracles. Et pas juste chez les ivrognes, bien qu'ils soient d'excellents diffuseurs de toute bonne ou mauvaise nouvelle.

Siffleux avait redonné la parole à un type qui mendiait dans les bars environnants avec sa petite carte où il était écrit qu'il ramassait de l'argent pour les sourds-muets. Il s'était approché derrière lui et lui avait lâché tout un wac dans les oreilles.

-TOUTUNWAC! hurla Siffleux.

Et le sourd, surpris, lâcha un mot d'église.

-Tabarnak!

Et puis Siffleux lui dit à peu près qu'il était un hostie de crosseur qui n'était ni sourd ni muet, juste un salopard qui ramassait du cash dans les bars pour payer son party. Le gars avait décrissé sans demander son reste.

En plus de redonner la parole aux sourds-muets, Johnny Boy passait aussi pour un gars qui marchait sur les eaux.

C'était dans les années '80. À une époque où l'on se servait encore des cours d'eau pour alimenter les papetières en billes de bois, affectueusement surnommées des «pitounes» par les aborigènes de Saint-Marsouin-des-Mines.

Johnny Boy était saoul et il avait traversé la rivière en marchant sur les pitounes.

Ce n'était pas tout à fait marcher sur les eaux. Mais parmi ceux qui suivirent Johnny Boy cette nuit-là, il est le seul à avoir réussi l'exploit. L'un s'est noyé, Charles Gorille Martel, et les autres sont revenus sur la berge après une ou deux tentatives infructueuses et une noyade. L'enterrement fût triste. C'était à Shawinigan. Dans une des églises qui restent debout pour les vieux. On fit jouer l'air des noyés, vous savez l'air que l'on joua sur le Titanic. Gorille était dans une boîte de carton fermée. On avait retrouvé son corps une semaine après, pas mal balouné.

Siffleux n'était jamais à cours de miracles. Surtout après la mort de Gorille. Comme s'il en avait fait un cas de conscience.

Il a sorti son neveu Luc Lasagne Charbonneau d'une mauvaise passe. Lasagne se shootait à l'héroïne dans la grande ville, là où les gens sont fous.

Johnny Boy était descendu dans sa vieille Buick jusque dans la métropole pour s'enquérir de l'endroit où se trouvait son neveu. Il l'avait finalement trouvé dans un bunker, quelque part en bas de la rue Ontario. Ça sentait l'urine et la claque brûlée.

-Lasagne! prends tes affaires et marche! qu'il lui avait dit, Siffleux.

Et Lasagne avait pris ses affaires et était redescendu avec son oncle à Saint-Marsouin, pour reprendre sa job de débroussailleur après que son oncle l'ait désintoxiqué en lui faisant boire de l'eau tiède dans laquelle il faisait toujours tremper une pelure de patate.

Il n'est recommandé à personne d'essayer cela à la maison. La scopolamine que peut contenir la pelure en fait un produit peu digestible en plus d'être potentiellement dangereux.

Pourtant, c'est ce qui redressa Lasagne.

D'autres miracles du Siffleux? Oh! Il y en a plein et on en fera pas un saint pour autant.

D'abord il faut n'avoir jamais trempé son pinceau pour pouvoir devenir un saint. À moins que je ne m'y trompe en droit canon. Et Siffleux avait déjà trempé son pinceau. Même qu'il a un gars et trois filles. Dont l'une d'entre elles qui est championne olympique de tir à l'arc.

N'allez pas fouiner sur Google pour savoir c'est qui. Vous allez vous y péter les dents.

Johnny Boy a aussi ce don de se rendre invisible tout en étant partout. Il surgit là où nous l'attendons le moins, au hasard d'une escapade dans les nuits froides de Saint-Marsouin, du Bar à Dédé jusqu'au Restaurant Chez Rita.

Chez Rita... Avec son hostie d'enseigne dégueu d'un autre temps qu'ils feraient bien mieux de changer. Sont gratte-la-cenne les Michaud-Lavergne, un couple de lesbiennes propriétaires de Chez Rita. Encore que le monde s'en calice à Saint-Marsouin. En autant qu'il y ait des frites pis des crottes de fromage pis tout le monde est content. La beauté pis ses affaires-là c'est pour les «étranges». Pis la Michaud est imbattable au tir au poignet. Même que la Lavergne a du chien dans le nez. Elle répare des moteurs pis de la machinerie agricole «en d'sour d'la couvarte».

J'oubliais de mentionner un dernier miracle attribué au Siffleux. Il peut siffler même en mangeant des biscuits soda. C'est dû au fait qu'il n'a plus de palettes. Ça laisse rentrer plus d'air. Ce qui fait qu'il peut facilement engloutir jusqu'à cinq biscuits soda tout en sifflant des airs tirés de La Traviata.

Les «étranges», d'habitude des gars d'Hydro-Québec venus rétablir le courant, n'en reviennent pas du légendaire Siffleux de Saint-Marsouin-des-Mines.

Chaque fois qu'un pied-tendre se présente au village, il faut qu'on lui demande s'il connaît le Siffleux. Et quand on lui montre Johnny Boy Siffleux Charbonneau, il faut toujours qu'il leur fasse le coup de La Traviata avec cinq biscuits soda dans la bouche. Ce qui fait que Siffleux, c'est comme le Cow-boy de Trois-Rivières, une vraie légende, un faiseur de miracles comme il y en a trop dans notre belle région 04, alias la Mauricie.

La Mauricie est en fait la cour des miracles du Québec.

Calice que oui.

2 commentaires:

  1. Vendredi le 15 octobre 15:59hrs,encore bien amusé et médusé par ta très grande plume!

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  2. Merci monsieur. Je ne me rends même plus compte que c'est moi qui les écris ces histoires. Je me laisse emporter par les flots de ma mémoire pas tout à fait conforme aux normes en vigueur dans l'industrie de la littérature.

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