mercredi 27 octobre 2010

Mademoiselle Poitrasse et son chapelet

Dans sa chambre du Foyer Charbonneau, qu’elle occupait depuis quinze ans, elle exigeait que les stores soient toujours baissés. Elle vivait dans le noir.


Elle égrenait son chapelet tous les jours et comme elle faisait de l’insomnie elle l’égrenait aussi toutes les nuits. Elle égrenait son chapelet, seule dans sa chambre, avec ses ténèbres chéries

Elle ne descendait jamais dans la salle à manger. Elle se faisait monter un cabaret dans sa chambre. Elle mangeait comme un oiseau. C’est à peine si elle picorait son grilled-cheese quotidien et sa tranche de tomate. 

-Mais venez don’ à la salle à manger! Ça va vous faire du bien! que lui disaient les membres du staff.

-Y’a rien qu’des vieilles folles pis des vieux pas propres qui crachent pis pissent partout! qu’elle répondait avec aplomb.

Elle s’appelait Mademoiselle Poitrasse. Elle était montée sur un frame de chat. Une vieille fille de cinq pieds, soixante-trois livres. Qui ne mangeait que du gruau. Et parfois des craquelins au Paris Potée.

Son visage était ratatiné. Et tout son corps aussi. Elle avait quatre-vingt-seize ans bien sonnés.
Il paraît qu’elle vivait dans cet état de prostration depuis 1947. Elle avait trente-trois ans quand elle perdit son papa et sa maman, puis ses frères, ses sœurs et tous les membres de sa famille. Ce n’était pas dans un incendie ni dans le cadre d’un accident d’auto. C’était arrivé comme ça. Le cœur, le cancer, la whatever et tout le monde était mort autour d’elle. En 1947. Il ne lui resta que quelques photographies et un chapelet.

Elle n’écoutait ni la télé ni la radio. Elle ne lisait pas de livres. Elle ne parlait à personne.

Mademoiselle Poitrasse se lavait elle-même et envoyait toujours son linge chez un blanchisseur privé.

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