Jérôme Langevin savait faire la vague comme pas un. Il ne savait rien d’autre. L’école, le travail, le bénévolat? Tout cela ne représentait aucun intérêt pour lui. Langevin savait faire la vague comme pas un et cela lui suffisait pour trouver en ce monde ne serait-ce qu’une infime poussière d’immortalité. Ce qui faisait qu’il ne faisait rien d’autre que faire la vague et remplir ses formulaires pour recevoir des subsides de l’État.
Il était petit et souple comme un chat, le gros Langevin. Car il était gros. Comme quoi l’on peut faire la vague comme pas un et avoir la taille d’un tonneau.
J’ai écrit que Langevin n’avait aucun intérêt pour le bénévolat. Pourtant, il consacrait son art de faire la vague à des œuvres communautaires, comme la Fête de quartier ou bien le festival hiphop de tel ou tel petit bar de yos. La musique yo convenait parfaitement à ses vagues et, se sachant dans le coup, il portait toujours son pantalon sous son ventre, avec le fond de culotte qui lui pendait entre les genoux. Même qu’il se laissait surnommer Dji Daddy Cool par ceux qui riaient de lui quand il faisait la vague.
Au fil des années, on ne peut pas dire que Langevin soit devenu une légende. Même que les yos se crissaient pas mal de lui. Ce qui fait qu’il a abandonné le bandana, la casquette et le fond de culotte qui pend aux genoux. Il a troqué ça contre un pantalon de travail Big Bill, mieux ajusté à son ventre. Et il porte maintenant un tee-shirt jaune fluo tout à fait affreux avec toutes sortes de petits brillants qui vous agacent les yeux.
Bien sûr, Langevin fait encore la vague. Il est dans sa mi-trentaine et sent que son talent n’a plus toute la force de ses vingt ans.
Souvent le gros Langevin perd pied et revole dans le décor. Son sens de l’équilibre est devenu à peu près nul. Pas parce qu’il boit. Juste parce qu’il vieillit un peu trop vite entre les deux oreilles.
On pourrait croire qu’il serait porté à boire, lui qui faisait la vague comme pas un. Mais pas du tout. Il ne boit que de l’eau.
-Parce que l’eau, c’est la vie, qu’il dit, le gros Langevin.
Évidemment, on ne nourrit pas un cochon à l’eau claire.
Et le gros Langevin mange beaucoup trop de charcuteries et de patates frites.
S’il en mangeait moins, peut-être réussirait-il à retrouver la vague de jadis.
Une vague toute en souplesse, avec des mouvements de doigts et des roulements d’épaules à la hauteur de ce qui se faisait mieux dans tout ghetto qui se respecte.
Quel gâchis! La vie est vraiment dégueulasse pour de purs talents comme celui du gros Langevin, ce gus qui savait faire la vague comme pas un.
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