dimanche 10 octobre 2010

La trajectoire de mon popa

Mon père est né en 1933 dans le Bas du Fleuve, quelque part entre Ste-Luce et Métis-sur-Mer.

Il a passé une bonne partie de son enfance à Sayabec, dans la Vallée de la Matapédia.

C'était l'un des coins les plus pauvres de la province. L'électricité ne se rendait pas encore dans le coin. On se chauffait au bois et on s'éclairait à l'huile.

Popa était l'aîné de ma grand-mère, une Anishnabée originaire de Kanasataké (alias la  réserve de St-Régis), la seconde épouse de mon grand-père qui avait déjà six ou sept enfants avec lui. Selon ce que m'en a dit mon père, sa première femme était morte le jeudi et le veuf s'était marié avec une vieille fille de vingt-quelques années trois jours plus tard.

Je connais le passé de mon père par bribes et j'aurai cette pudeur de ne pas tout vous dire. J'y reviendrai un jour, quand je serai vieux et que le passé sera bien froid.

Ce que je sais, c'est qu'il ne l'a pas eue facile, la vie.

Ils étaient presque vingt autour de la table dans une petite maison mal isolée où les clous pétaient par grands froids.

Ils allaient à l'école à tour de rôle parce qu'il n'y avait pas assez de bottes pour tout le monde. Un jour c'était untel, le lendemain c'était l'autre. L'été, c'était moins problématique. Ils pouvaient tous y aller pieds nus.

Évidemment, on ne voulait jamais d'eux sur les photos d'école. Ils avaient l'air trop pauvres. Mon père, même s'il était premier de classe, devait rester à la maison les jours où il y avait de la grande visite, l'évêque ou bien le député, voire le boss de la shop.

À la maison, ils bouffaient toujours de la morue, des navets et des patates. Avec un peu de pain et de mélasse pour le dessert. Ils ajoutaient à leurs repas le produit de leur pêche et de leur cueillette de baies.

Ils en arrachaient, c'est évident, même si popa n'a jamais été très clair sur cette partie de sa vie.

Ils sont déménagés au Cap-de-la-Madeleine après la guerre.

Toute la trâlée d'enfants est atterrie dans un logement avec de l'eau courante, des toilettes qui flushent et de l'électricité.

Mon grand-père travaillait comme foreman dans une scierie locale, pour ce que j'ai retenu de cette époque.

Ma grand-mère torchait et nourrissait toute la gang, en se faisant dire par son curé de ne pas empêcher la famille les fois où elle aurait souhaité un break ou bien un miracle.

Ce qui fait qu'elle est morte au milieu des années cinquante. Je ne l'aurai jamais connue puisque je suis né à la fin des années soixante.

Les enfants ont probablement tous travaillés dans les usines du coin. Mon père a dû lâcher l'école très tôt pour contribuer à l'économie familiale.

Je connais moins cette partie de son histoire. Je sais qu'il était un bon joueur de billard. Et qu'il a rencontré ma mère, un soir, dans un genre de Casa Loma trifluvienne, où jouaient les idoles du temps, Jen Roger ou Chiquita Tétrault.

À partir de ce moment-là, toute l'histoire de mon popa devient plus claire. Comme si l'amour donnait un sens et des mots à la vie. Comme si sa femme était devenue sa vie.

Ils se marient à la salle de réception du club social des travailleurs de la Wabasso. Ils font un voyage de noces à Deschambeault. Puis ils s'installent à Lachine. Parce que mon père travaille à la Dominion Bridge.

Ma mère s'ennuie à mourir à Lachine. Ils reviennent à Trois-Rivières et hop! mon frère aîné fait coucou.

Popa travaille à la Reynold's Aluminium et ma mère coud des piles de linge pour je ne sais pas trop qui.

Trois ans plus tard, et hop encore! c'est le deuxième garçon.

Puis six ans plus tard, re-hop! c'est moi. L'année suivante: hop un autre braillard. Quatre gars. Sacrament...

Bon, puis c'est le travail, la grève et des bonnes bouffes dans tout ça, de l'amour, du rire et les meilleurs parents du monde somme toute.

Je suis allé visiter la tombe de popa dimanche dernier. Sa tombe est alignée avec celles de mon oncle Marcel, son frère aîné, et de mon oncle Rémi, le frère de ma mère. Pure coïncidence. Une occasion de méditer sur le caractère éphémère de la vie et sur les hasards de la mort.

Popa est mort du cancer en 1995 ou 1996. J'ai un black-out permanent pour l'année de son décès Je ne sais pas pourquoi.

Je préfère me rappeler sa vie. Sa mort me semble arrangée avec le gars des vues, comme si elle n'était jamais survenue.

Sa vie me revient en pleine face quand je me regarde dans le miroir.

C'est vrai que je ressemble à popa.

Comme il ressemblait à sa mère.

La même gueule. Les mêmes yeux un peu bridés. Mais surtout la même shape.

Et la même révolte devant l'injustice, la misère et la pauvreté.

2 commentaires:

  1. ton père vit encore en toi et tu en parles avec une vraie tendresse.

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  2. ton père est bien en toi et tu en parles avec beaucoup de tendresse.

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